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les terres humides de la rive opposée et de la presqu’île de Jumiéges. L’espèce ne se distingue par aucun caractère particulier, et la supériorité de sa chair sur celle des canards de basse-cour ordinaires ne tient indubitablement pas à d’autres causes que la liberté dont jouissent ici ces oiseaux.

Les escarpes du plateau crayeux se dressent brusquement au-dessus de Duclair, et il a fallu en entamer le pied pour ouvrir le long de la Seine la route qui conduit à Rouen. L’exploitation de la falaise ainsi commencée se poursuit de place en place et fournit par la navigation des matériaux aux constructions lointaines ; les excavations qu’elle pratique sont souvent muraillées et converties en habitations. La solidité des produits si faciles à travailler de ce gisement est très supérieure à ce qu’annoncent les apparences ; la preuve en est dans la belle église de pure architecture normande de Saint-Georges de Boscherville, qui, construite de 1050 à 1060 par Raoul de Tancarville, n’exige, au bout de huit cents ans de durée, que quelques travaux de consolidation. À l’extrémité orientale de ce soulèvement se dresse la chaise vénérée où s’asseyait Gargantua quand il se lavait les pieds dans la Seine, et avec un peu de bonne volonté on peut en voir les bras dans deux roches qui percent le terrain supérieur : la hauteur du siège est d’une cinquantaine de mètres, ce qui se rapporte assez bien à l’idée que se font les Parisiens de la taille du plus célèbre bourgeois de leur ville, et confirme la véracité de la tradition, qu’on serait mal venu de contester devant certains habitans de Duclair. Plus près du bourg et sur le front de la falaise, des terrassemens d’une destination plus authentique forment l’enceinte des Catelins, quadrilatère de 8 à 10 hectares garni de fossés à déblais retroussés dans l’intérieur et beaucoup plus profonds que ne les faisaient les Romains. Cette fortification ne peut être qu’un poste avancé de l’occupation de la presqu’île de Jumiéges par les Normands : comme l’attestent l’histoire et quelques vestiges de retranchemens tracés sur l’isthme, ils avaient fait de la presqu’île un de leurs repaires, et, maîtres de l’embouchure de la Seine, ils s’étaient appliqués à prendre des sûretés du côté de la terre et du haut de la rivière. C’est principalement dans le choix de ses positions que s’est partout manifesté le génie militaire de cette race.

Les bords tant célébrés du Rhône, du Rhin et du Danube sont à peine comparables, pour leurs beautés naturelles, à ceux de la Seine maritime ; on le reconnaît surtout en approchant de Rouen. Au-dessous de l’étage occupé par les bois, les coteaux, chargés d’arbres fruitiers, se couvrent de gracieuses habitations ; les prairies descendent jusqu’à la rivière ; des îles à ombrages épais surgissent du sein des eaux, dépouillées de la vase qui les souillait plus bas ; le mouvement