Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nets, bien accusés, joignaient à cet avantage celui d’une translucidité qui se rapproche de celle du cristal. À Maurice, on ne pousse pas si loin le progrès de la fabrication, car les sucres coloniaux doivent présenter une couleur voulue pour être admis en Angleterre à titre de sucres bruts. De tout ce qui précède, il ne ressort pas moins un fait : ou bien les sucreries coloniales, perfectionnant leur fabrication, ont outre-passé les vues de la métropole, qui ferme les yeux ou ne voit rien, surtout pour La Réunion, ou bien les tarifs de douane qui règlent en France et en Angleterre l’introduction des sucres coloniaux sont mal appliqués, et en tout cas exigent une prompte réforme.

L’époque de la roulaison est dans les sucreries l’occasion d’une ardente activité, comme le moment de la coupe dans les plantations. L’usine, jusque-là tranquille et monotone, corps sans vie ou plutôt sans âme, a repris son mouvement. Le bruit de la machine à vapeur, le son métallique des cylindres broyeurs et des engrenages, la ronde étourdissante des turbines, tout concourt à donner à la sucrerie le plus curieux aspect. Des nègres à moitié nus aux formes athlétiques, des Indiens aux membres grêles, se tiennent devant les appareils. Les foyers des chaudières dévorent sans cesse un combustible toujours renouvelé, et la nuit les hautes cheminées des usines, vomissant leurs gerbes de flammes, se dessinent comme des espèces de phares au-dessus des campagnes endormies. Alors l’usine seule travaille : pas de trêve ni de repos, si ce n’est le dimanche, consacré aux réparations. Le vesou ni les sirops n’attendent pas ; il faut les précipiter, les écumer, les évaporer. L’activité du dehors se ressent de l’activité du dedans. Voyez les charrettes qui arrivent au pas léger de leurs mules du Poitou. Pendant qu’on décharge les cannes pour les présenter au moulin, toujours en mouvement, les bonnes bêtes fatiguées ouvrent bruyamment leurs naseaux. Elles respirent avec une sorte de bonheur l’odeur si agréable qui se dégage des sucreries. Cette odeur, qu’emporte la brise, permet au marin de reconnaître à distance l’île Maurice, mais surtout l’île Bourbon. Lorsqu’il est au vent de cette île à l’époque de la roulaison, il sent la terre bien avant que, sortant du sein de l’onde, elle ne lui apparaisse de loin comme une immense corbeille de verdure et de fleurs.

La fabrication du sucre prend chaque année, à Maurice comme à Bourbon, des proportions toujours croissantes. La récolte de 1860 a dépassé à l’île Maurice 150 millions de kilogrammes, fabriqués par 270 usines. C’est un rendement moyen de 5 à 600,000 kilogrammes par établissement ; mais les plus importantes sucreries présentent un chiffre de production plus que quintuple. À Bourbon, la récolte a été de moitié inférieure à de celle de Maurice ; le nombre des usines