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ignorés, et il est peut-être permis de douter qu’ils fussent très sérieux. Que le despotisme de Vienne ait mérité de soulever contre lui l’opinion publique, il n’était pas plus lourd à Prague que partout ailleurs ; il y a même ceci de particulier, que ce despotisme avait trouvé en Bohême un grand nombre de serviteurs et de partisans passionnés. Ce sont de vrais fils des anciens propriétaires du sol que tous ces grands seigneurs dont les armées et la cour de Vienne étaient peuplées. Si le souvenir d’exécutions cruelles, de luttes religieuses sanglantes, de guerres civiles atroces, se mêle dans notre esprit au nom de la Bohême, cette lugubre histoire remonte à des âges assez éloignés pour que toute trace de ressentiment soit effacée et que la légitimité des représailles soit prescrite. Cette Bohême des Hussites et de Wallenstein nous paraît presque aussi vieille que la Bohême de Samo, de Premysl et de saint Wenceslas. Loin de penser que la civilisation moderne eût rien de particulier à revendiquer en Bohême, on n’envisageait guère ce pays qu’au point de vue archéologique et pittoresque, du même œil enfin que l’on visite dans Prague, cette ville si riche en souvenirs féodaux, le Hradschin, à la fois église, forteresse et palais, qui ne semble plus destiné qu’à abriter des souverains descendus du trône, Charles X de France et l’empereur Ferdinand d’Autriche. Les événemens de 1848 révélèrent toutefois l’existence d’un profond sentiment national, qui, un moment confondu avec des opinions démocratiques et socialistes, s’en distingue cependant à quelques égards. L’idiome tchèque, fixé par Jean Huss, oublié par les hautes classes de la société passées au service de l’Autriche, avait été religieusement conservé dans les classes inférieures. Ce n’est guère qu’à partir de 1818 que la langue bohème devint l’objet de recherches académiques, manifestées par la fondation du musée national dû aux comtes de Sternberg. En 1827 parut le premier numéro d’un journal tchèque, et rien n’annonçait que cette innocente restauration littéraire dût porter des fruits dangereux lorsque les événemens de 1848 firent éclater à la fois toutes les haines et surtout les ambitions excitées par trente années de propagande. Une révolte éclata à Prague ; un moment l’autonomie tchèque fut une réalité, l’empereur Ferdinand ayant concédé pour la Bohême, comme il avait fait pour la Hongrie, la réunion d’un parlement national et la formation d’un ministère siégeant à Prague ; mais bientôt d’opprimés les Tchèques devinrent oppresseurs : la Swornost (légion de la concorde) ne tarda pas à s’opposer à la nomination des députés au parlement de Francfort ; les Allemands furent menacés, les Juifs maltraités, et l’épée du maréchal Windischgratz fit avorter finalement cet essai de restauration nationale.