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enfin, bien différent de l’esprit de secte, qui, en intéressant le zèle de chacun, n’attente à l’indépendance de personne, et fait tourner même les dissidences partielles au profit de la dignité commune. L’art italien, nous l’avons vu, s’était mal trouvé d’un essai d’organisation en ce sens, non-seulement parce que cette expérience tardive contrariait des habitudes, mais aussi et surtout parce qu’elle répugnait à des instincts. En France, l’habitude de la discipline était dès longtemps prise ; elle avait besoin seulement d’être mieux réglée dans ses effets, mieux appropriée à de justes exigences, et de plus la réunion centrale des talens, qui avait ailleurs tout paralysé, ne pouvait ici que ranimer cet esprit de méthode, ce goût pour les comparaisons et les calculs qui est l’inspiration même de l’art national.

Dans notre pays en effet, l’art n’a pas des origines absolument naturelles, une vie et une vertu involontaires pour ainsi dire. Il ne germe pas chez nous, comme en Italie, par la toute-puissance du sol : il est un effort de la raison bien plutôt qu’une suggestion du sentiment, un moyen acquis plutôt qu’une force spontanée. De là ses formes d’expression un peu recherchées parfois, mais le plus souvent exactes sans sécheresse, ingénieuses sans minutie ; de là cette habileté de nos peintres à faire ressortir les caractères intimes d’une scène ou d’un portrait, à en définir la vraisemblance morale : de là enfin des qualités toutes particulières à l’école française, et dont on réussirait mieux à trouver les équivalent dans notre littérature que dans les œuvres peintes ou sculptées qu’ont produites les écoles étrangères. En vain, au siècle dernier, lorsque la mode était aux parallèles, prétendait-on mettre en regard les maîtres italiens et les artistes français. Certain livre par exemple où le marquis d’Aryens s’évertuait de la meilleure foi du monde à rapprocher Jacques Blanchard de Titien, Santerre d’Andréa del Sarto et Lafosse de Paul Véronèse, montre assez à quelles erreurs peut aboutir cette manie, et, sans parler de l’extrême inégalité des forces, il suffit de se tenir aux intentions pour apprécier ce qui diffère entre des hommes si malencontreusement accouplés. Le mieux est donc de ne pas songer à détourner sur nous une gloire qui ne saurait nous appartenir, de laisser à qui de droit les privilèges de l’imagination, de la puissance innée, de l’inspiration et de la science faciles. Le mieux est de nous incliner devant la grandeur de l’art italien et d’en admirer les incomparables beautés sans réserve-ni faux amour-propre, à la condition toutefois de ne pas pousser le désintéressement jusqu’à la distraction ou jusqu’à l’injustice envers nous-mêmes, à la condition de ne pas méconnaître, en face de cette poésie éblouissante, les rares mérites de notre prose, et de réserver