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sous prétexte de faire justice des conventions, on essaiera simplement d’en changer les formes, où l’on enchérira même, par une pratique plus artificielle encore, sur ce que les procédés antérieurs pouvaient avoir de factice ou de suranné. Gillot vient déjà de paraître, et avec lui cette « peinture de sujets galans et modernes, » pour parler le langage du temps, qui doit, sous le pinceau de Watteau, se parer de gentillesses bien autrement séduisantes et conquérir de bien autres succès. Quelle mise en demeure pour l’Académie, gardienne des hautes traditions de notre école, et que n’allait-elle pas avoir à faire pour arrêter ou pour diriger le mouvement !

Rien de plus simple néanmoins et en même temps rien de plus habile que la politique adoptée par l’Académie en cette circonstance, et depuis lors invariablement suivie par elle. Au lieu de résister aux innovations, elle s’y associe tout d’abord et les consacre, afin de se trouver, le cas échéant, mieux en mesure d’en réprimer les excès. Au lieu d’irriter par ses dédains des talens facilement ennemis, elle s’empresse de les accueillir, elle les récompense de bonne grâce, sauf à les surveiller de près une fois qu’elle se les est attachés. C’est l’honneur de l’Académie de peinture d’avoir su ainsi participer toujours à temps au mouvement des idées, de ne s’être obstinée à nier aucun progrès, à méconnaître aucun genre de mérite, et d’avoir, en toute occasion, intéressé à sa propre cause ceux-là mêmes qui soutenaient en apparence une cause contraire, ou qui n’obéissaient qu’à leur caprice. Watteau avait à peine trente ans, Lancret n’en avait pas vingt-huit, que déjà ils étaient académiciens l’un et l’autre, sans que personne, même parmi les plus susceptibles, se formalisât de ce voisinage, mais aussi sans que personne se proposât d’ajouter jamais à leur titre le titre plus compromettant de professeur. Gillot était élu l’année même où mourait Louis XIV, comme si l’on avait eu hâte de démentir les récentes rigueurs du grand roi et d’accorder un droit de cité parmi nous à ces peintres de magots dont le talent avait offensé ses regards dans les œuvres de l’école flamande. Plus tard, lorsque le champ de la fantaisie pittoresque tend à s’élargir encore, lorsque, sous les pinceaux d’autres novateurs, la grâce dégénère en afféterie et la familiarité du style en véritable impertinence, les rangs de l’Académie s’ouvrent même pour ces faux talens, à mesure qu’on sent la nécessité de compter avec eux, et, comme dit M. Vitet, de « tempérer le désordre de cette émancipation téméraire. Qui peut dire, ajoute-t-il, à quels excès d’incorrection, de négligence et de monstrueux caprices les novateurs eussent été emportés, si, à peine au sortir de l’école, ils s’étaient vus, comme nos jeunes talens d’aujourd’hui, abandonnés à