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et sur les monumens de l’art que nous devons à certains conseillers ou associés de l’Académie, si l’on se rappelle les services rendus à l’archéologie, à la critique, par Caylus, par Mariette, par d’autres bons et savans esprits, on reconnaîtra que, depuis la seconde moitié du siècle jusqu’aux dernières années du règne de Louis XVI, c’est-à-dire pendant une époque livrée en apparence aux influences les plus frivoles, l’Académie travaillait et réussissait à perpétuer le goût des fortes études, le respect des nobles traditions.

Survient la révolution, et d’abord l’Académie n’est pas atteinte. Un moment dénoncée devant l’assemblée constituante, elle s’était empressée de publier, en réponse aux accusateurs, un mémoire sur l’esprit des statuts, et règlemens de l’Académie royale de peinture, L’assemblée, occupée ailleurs il est vrai, lui avait facilement donné gain de cause, et depuis lors aucune menace sérieuse n’était venue remettre en question l’existence d’une institution que ses origines et ses privilèges semblaient désigner pourtant aux vengeances démocratiques. Même aux approches de la terreur, tout continuait de se passer dans l’ordre accoutumé, et l’on semblait si peu disposé à innover sur ce point qu’à la fin de l’année 1792 le ministre de l’intérieur, Roland, invitait par écrit les académiciens « à s’assembler pour choisir, à la pluralité des voix, un artiste peintre d’histoire en remplacement du directeur de l’école de Rome, qui venait de donner sa démission[1]. » L’élection eut lieu dans ces termes et fut confirmée par le ministre, mais elle mécontenta assez vivement la minorité pour que celle-ci, David en tête, n’hésitât pas à faire alliance avec les ennemis du dehors. Bientôt ce groupe de factieux, qui avait pris le titre de Société révolutionnaire des Beaux-Arts, et qui, en attendant mieux, s’était emparé du local où l’Académie tenait ses séances, réclama et obtint de la convention un décret conforme à ses propres rancunes aussi bien qu’aux lugubres manies de l’époque. Ainsi fut renversée cette « bastille académique, » qui pourtant n’avait jamais tenu à la gêne ni les talens ni la foi de personne ; ainsi, sous prétexte d’affranchissement on ne fit en réalité que restreindre les moyens d’émulation, qu’introduire dans le présent et dans l’avenir l’esprit d’aventure et l’anarchie. La puissante association qui pendant un siècle et demi avait gouverné les arts dans notre pays appartenait désormais à l’histoire, et lorsque, dix

  1. Notices historiques sur tes anciennes académies royales, par Deseine, statuaire, membre de l’ancienne Académie. Paris 1814. — Le nom de Deseine figure l’avant-dernier sur la liste chronologique des académiciens. Le dernier nom est celui du peintre Forty, élu le 25 juin 1792, treize mois par conséquent avant le jour où l’Académie fut supprimée (8 août 1793).