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dictionnaire, ses huit volumes d’essais, ses dix volumes de vies, ses innombrables articles, ses entretiens si précieusement recueillis ; nous bâillons. Ses vérités sont trop vraies ; nous savions d’avance ses préceptes par cœur. Nous apprenons de lui que la vie est courte et que nous devons mettre à profit le peu de momens qui nous sont accordés[1], qu’une mère ne doit pas élever son fils comme un petit-maître, que l’homme doit se repentir de ses fautes, et cependant éviter la superstition, qu’en toute affaire il faut être actif et non pressé. Nous le remercions de ces sages conseils, mais nous nous disons tout bas que nous nous en serions bien passés. Nous voudrions savoir quels sont les amateurs d’ennui qui en ont acheté tout d’un coup treize mille exemplaires. Nous nous rappelons alors qu’en Angleterre les sermons plaisent, et ces Essais sont des sermons. Nous découvrons que des gens réfléchis n’ont pas besoin d’idées aventurées et piquantes, mais de vérités palpables et profitables. Ils demandent qu’on leur fournisse une provision utile de documens authentiques sur l’homme et sa vie, et ne demandent rien de plus. Peu importe que l’idée soit vulgaire ; la viande et le pain aussi sont vulgaires, et n’en sont pas moins bons. Ils veulent être renseignés sur les espèces et les degrés du bonheur et du malheur, sur les variétés et les suites des conditions et des caractères, sur les avantages et les inconvéniens de la ville et de la campagne, de la science et de l’ignorance, de la richesse et de la médiocrité, parce qu’ils sont moralistes et utilitaires, parce qu’ils cherchent dans un livre des lumières qui les détournent de la sottise et des motifs qui les confirment dans l’honnêteté, parce qu’ils cultivent en eux le sensé, c’est-à-dire la raison pratique. Un peu de fiction, quelques portraits, le moindre agrément suffira pour l’orner ; cette substantielle nourriture n’a besoin que d’un assaisonnement très simple ; ce n’est point la nouveauté du mets ni la cuisine friande, mais la solidité et la salubrité qu’on y recherche. À ce titre, les Essais sont un aliment national. C’est parce qu’ils sont pour nous insipides et lourds que le goût d’un Anglais s’en accommode ; nous comprenons à présent pourquoi ils prennent comme favori et révèrent comme philosophe le respectable et insupportable Samuel Johnson.


VII

Je voudrais rassembler tous ces traits, voir des figures. Il n’y a que les couleurs et les formes qui achèvent une idée. Pour savoir, il faut voir. Allons au musée des estampes : Hogarth, le peintre

  1. Rambler, 108,109, 110, 111.