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de toile blanche ombrageant une figure basanée, ou bien enfin des coolies, des lascars venus de Bombay, de Madras ou de Calcutta ; d’autres fois ce sont des Juifs sales et maigres que l’on devine d’une lieue à leur type caractéristique. Établis dans cette partie de l’Arabie depuis la destruction du temple par Nabuchodonosor, ils sont restés reconnaissables après 2,500 ans d’exil.

Près de la route, à droite, est un amas de cahutes de paille, village qui a ses rues et ses places, et où je m’arrêtai un instant. J’y remarquai des Arabes et des nègres soumalis. Les hommes sont occupés à la pêche, pendant que les femmes, sur le seuil de leur misérable demeure, tressent des nattes ou des paniers. Quelques Soumalis vont en bandes sur la route : ils frappent le voyageur par la beauté de leur type, qui, à part la couleur, est purement caucasien : le nez est aquilin, l’œil ovale, la lèvre mince, la figure allongée, le front élevé et jamais déprimé. Les cheveux sont curieusement tressés en longues mèches jaunes flottant tout autour de la tête. C’est un signe de beauté auquel le Soumali tient beaucoup, et il l’acquiert patiemment en se rasant le crâne, en le couvrant d’une couche d’argile et de chaux, et en teignant ensuite les cheveux avec de la chaux vive à mesure qu’ils croissent. Ces longues mèches qui flottent au vent donneraient aux Soumalis l’aspect d’autant de diables, s’ils ne rachetaient par leur beau type l’étrangeté de leur vilaine coiffure. Il est curieux de passer en revue tant de races différentes sur un si court espace ; chacune garde son caractère distinct, et l’on peut voir au bord de la mer un groupe d’Indiens musulmans occupés à leurs ablutions sans souci des nombreux passans. Il est vrai que les femmes arabes marchent toujours la tête voilée.

Le spectacle dont je jouissais sur la route d’Aden n’était pas le seul à fixer mon attention. Sur la mer, un boutre occupé à la pêche avait laissé tomber sa voile. La fumée des fours à chaux, où l’on brûle les coraux du rivage, se répandait au-dessus de l’eau en nuées blanchâtres, au milieu desquelles on distinguait à peine le bateau pécheur, et au loin, à l’horizon, sur une plage de sable où les vagues viennent mourir indécises de leur limite, se dressaient quelques bouquets de palmiers. La vapeur du matin permettait à peine de distinguer le fort et la ville de Lahej, que cachent aussi les arbres. C’est derrière cette plaine que s’étend l’Yémen ou l’Arabie heureuse. C’est la patrie, autrefois si vantée, de l’encens et de la myrrhe ; c’est là que fut le paradis terrestre suivant de doctes musulmans. Au temps de Salomon, c’était là qu’on voyait Ophir, la grande place du commerce phénicien. Ce pays avait tenté Alexandre, et il voulait y fixer sa résidence après la conquête de l’Inde, quand la mort vint