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notables, formant par conséquent toujours minorité, bien que seuls ils soient vraiment informés des besoins de la colonie. Ils sont nommés d’ailleurs par l’état. Dans les communes, les maires, les conseillers municipaux, sont choisis par le gouverneur. Il en est de même pour les membres du conseil-général, dont moitié sont cependant élus par les conseils municipaux ; mais les membres du bureau sont désignés par le gouvernement. Le délégué colonial lui-même, véritable député que la colonie envoie à Paris pour y défendre ses intérêts devant les ministres compétens, mais non plus devant les chambres comme naguère, le délégué colonial ne se rend à Paris que lorsque sa nomination a été ratifiée par le gouverneur. Il est choisi au reste parmi les membres du conseil-général. Les questions de presse, de culte, sont, comme celles d’intérêt local, soumises au gouverneur ; seulement, dans les questions de culte, l’évêque, qui fait alors partie du conseil privé, est consulté. Dans tous les cas, le gouverneur est plus qu’un préfet, plus qu’un chef d’état dans un pays constitutionnel. Il jouit d’un pouvoir presque absolu et sans contrôle, et peut dire, parodiant un mot fameux : « La colonie, c’est moi ! » Nous ne voulons pas le moins du monde attaquer la personne des gouverneurs de nos colonies, celui de La Réunion notamment, dont nous avons pu par nous-même apprécier toute la bonté, jointe aux mérites éminens qui distinguent l’un de nos capitaines de vaisseau les plus honorables, M.. le baron Darricau. Ce que nous combattons, c’est notre système colonial, encore trop empreint des idées étroites qui présidaient à la politique maritime au XVIIe et au XVIIIe siècle. Ces idées ont fait leur temps, et il faut marcher en avant. Port-Louis de Maurice, ouvert à toutes les nations, offre un mouvement commercial sans cesse progressif, le port de Saint-Denis ne le suit que lentement. Le libre commerce ne lui était pas même permis avec Maurice, il n’y a encore que peu de mois, alors que régnait toujours le fameux pacte colonial. Tout récemment La Réunion manquait de savon par suite du retard de plusieurs navires attendus de Marseille et retenus par des vents contraires au détroit de Gibraltar ; il a fallu une permission expresse du gouverneur pour faire venir du savon de Maurice. Le même fait s’est produit à une époque ou la colonie, au lieu de manquer de savon, manquait de riz, disette plus grave. Dans tous les cas, tout se paie au moins 25 pour 100 plus cher à La Réunion qu’à Maurice. Ainsi le sel, les grains, la viande salée et de boucherie, la morue, le charbon de terre, le guano, les mules, sont à un taux toujours beaucoup plus élevé à Saint-Denis qu’à Port-Louis.