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avertis par le danger, ne s’arrêtèrent point en si bonne voie. En 1802, ils conclurent un traité de commerce et d’amitié avec le sultan de Lahej, dont dépendait Aden. En 1829, on les retrouve à Aden embarquant du charbon sur le premier steamer qui ait fait le voyage de la Mer-Rouge. En 1835, ils reparaissent sur cette partie de la côte de l’Arabie, dont le capitaine de vaisseau Haines fait, par ordre de l’amirauté, le relevé hydrographique. Tous les points du rivage sont interrogés, la mer est sondée à toutes ses profondeurs, et d’admirables cartes sont dressées avec les noms anglais et arabes de chaque localité. Enfin en 1839, sous le spécieux prétexte d’actes de piraterie exercés deux années auparavant par les Arabes sur un navire appartenant à une princesse indienne, les Anglais, voyant le temps se perdre en négociations et le sultan de Lahej refuser de livrer Aden même à prix d’argent, bombardèrent la ville et la prirent d’assaut. L’armée assiégeante eut à peine quinze hommes tués ou blessés, et le combat du 16 janvier 1839 rendit l’Angleterre maîtresse de toute la péninsule adénique. Aucune réclamation ne s’éleva du côté des cabinets européens. Il est vrai qu’on était loin de deviner alors de quelle importance capitale pouvait être dans l’avenir ce petit coin de terre arraché à l’Arabie. Les Anglais seuls comprenaient toute la valeur de cette nouvelle conquête. On a vu qu’ils la couvaient depuis quarante ans ; on connaît tout le parti qu’ils en ont su tirer[1].

À peine Aden fut-il tombé au pouvoir des Anglais qu’ils s’empressèrent de conclure un traité de paix et d’amitié avec les tribus voisines. Le sultan de Lahej fit aussi sa soumission, et Aden commença d’entrer dans une ère nouvelle de prospérité. Ses maisons étaient en ruine depuis des siècles, ses rues désertes, ses mosquées délabrées. La ville ne comptait plus que quinze cents âmes, y compris la garnison. Au moment où je l’ai visitée, elle renfermait plus de vingt-cinq mille habitans de races diverses, mais presque toutes adonnées au commerce : Arabes, Indiens, Africains. Les dénombremens partiels d’une population si mêlée ne sont point aisés à établir, surtout à cause des difficultés que les musulmans apportent toujours dans les recensemens tentés par l’Angleterre. D’après des chiffres recueillis sur les lieux, il m’est cependant possible de donner

  1. La presqu’île d’Aden forme le point le plus méridional de l’Arabie ; elle est située par environ 13 degrés de latitude nord. La forme en est légèrement ovale ; le pourtour est de 24 kilomètres, la plus grande longueur de 8, et la plus grande largeur de 5. Elle est unie au continent par une langue étroite de terres basses, recouvertes par les plus hautes marées. Le port arabe est à l’est, et le port anglais à l’ouest de cet isthme, que protègent les fortifications d’Aden. La distance entre les deux ports est de 9 à 10 kilomètres par la route de Steamer-Point.