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mille voix de la nature éclatent à la même heure, les plus petites comme les plus puissantes, les plus subtiles comme les plus robustes, ressemblance cherchée, dirait-on, par Mme de Gasparin comme pour justifier une fois de plus le titre de Vesper, qu’elle a choisi. Elle-même a décrit, dans une préface vive et courte, cette anarchie mélodieuse du soir, et sa description peut exactement s’appliquer à la turbulence harmonique des sentimens exprimés dans son livre. « Là-bas, dans les prés, à mesure que des souffles capricieux courent sur les trèfles en fleur, un petit cri limpide se répète de touffe en touffe, l’appel de la caille. Fluide, j’allais dire transparent, l’oreille trompée le confond presque avec la goutte d’eau qui filtre de ces longues mousses dans le bassin rustique. Sous les herbes, des violonistes de grand courage, sauterelles, scarabées, jouent tant que se promène la lune par le ciel étoile. Ce qu’ils jouent ? D’énergiques fantaisies, de vaillantes fanfares, comme si l’intrépidité allait en sens inverse de la place qu’on tient en ce monde. Au bord d’une flaque d’eau endormie sous le cresson, voici des rêveurs ; chacun soupire sa plainte, un son doux, uniforme, tout pénétré de mélancolie. Les haleines qui passent dans les branches tour à tour émeuvent l’air d’un bruissement large ou l’agitent d’un frémissement subtil, suivant que la feuillée est épaisse ou menue. »

Cette anarchie mélodieuse est familière à Mme de Gasparin ; nous la connaissions déjà par ses précédens écrits : noble anarchie qui a sa cause dans le plus grand des sentimens, et qui témoigne d’une nature dont l’essence est l’amour de tout ce qui appartient au royaume du bien moral. Combien cette turbulence est supérieure à cette discipline scolastique qui agit sur l’être par voie de mutilation, et qui, transportant dans le monde moral et religieux les conventions et les artifices du monde social, impose à l’âme de se contraindre pour aimer, de n’aimer qu’avec bienséance et selon des règles de progression bien connues ! Mme de Gasparin ignore ces artifices et ces ménagemens de la discipline littéraire et philosophique de nos écoles. Cette anarchie mélodieuse que nous signalons n’est pas autre chose qu’une sainte émeute de toutes les activités de la nature et de toutes les facultés de l’esprit, emportées par l’ardeur du zèle religieux, empressées de se devancer pour le service de Dieu, se pressant, se culbutant, se blessant pour arriver les premières. Toutes à la fois, mémoire, imagination, sympathie, rêverie de l’heure présente, élèvent la voix pour crier à l’unisson : Que ce soit moi, Seigneur ! Un même désir divin enflamme tous les agens de cette révolte pieuse et charmante et donne à leurs discordes, dont Dieu est la cause et la fin, le sceau de l’unité.

J’ai dit anarchie mélodieuse ; je devrais dire aussi démocratie divine. L’âme de Mme de Gasparin ne connaît pas de privilèges ni