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tory et de l’anglican le plus entêté qui ait jamais vécu sous la reine Anne. Les papistes, les dissidens, les quakers, les Juifs et les Turcs, sont également damnés par lui, comme représentant également la fraude, la révolte et l’anarchie. Il hait le pape et Louis XIV avec la même force de haine que le plus ignorant des squires de son comté et le plus patriote des yeomen de sa paroisse. Il prête à l’église romaine des crimes sans nom, et raconte sans la moindre hésitation les fables les plus absurdes. À prendre ce petit écrit au point de vue historique, on y trouve un écho très vibrant encore aujourd’hui des passions anglaises au commencement du XVIIIe siècle, après les victoires de Marlborough et le traité d’Utrecht. Quant à sa culture d’esprit, rien n’indique qu’elle ait été très étendue. Elis Wyn possède les vieilles légendes de la littérature nationale, et, chose curieuse, il semble avoir eu quelques notions de la littérature espagnole. M. George Borrow, qui est versé dans la connaissance de toutes les œuvres excentriques, a noté les nombreux emprunts faits par le ministre gallois aux visions de Quevedo. Comment les œuvres du fantasque Espagnol sont-elles tombées entre les mains du ministre gallois ? M. Borrow pense, et cette hypothèse est la plus probable, qu’il a eu connaissance de ces écrits par quelque traduction anglaise de la fin du XVIIe siècle. Quoi qu’il en soit, cette imitation de Quevedo par un ministre gallois du XVIIIe siècle est un curieux exemple de la manière inusitée et mystérieuse dont voyagent les idées et dont les œuvres de l’intelligence font leur chemin en ce monde. Il serait intéressant de savoir quelle route ont prise les fantaisies de l’auteur espagnol pour arriver jusqu’en ce comté reculé du Denbighshire, et de compter les relais qu’elles ont dû faire avant de tomber sous les yeux du ministre gallois. C’est ainsi qu’on voit naître parfois une fleur sur le flanc d’un rocher stérile, ou une herbe d’espèce inconnue pousser subitement à travers les fentes d’un vieux mur. Comment le germe en a-t-il été apporté, et surtout comment ce germe est-il parvenu à pénétrer dans cet asile, et à y trouver la chaleur et les sucs nécessaires à son éclosion ? Cela restera toujours un mystère. Imaginez, pour avoir une idée de la singularité de ce tout petit fait, le Pilgrim’s progress de Bunyan par exemple arrivant entre les mains d’un pauvre curé d’une de nos paroisses des provinces du centre au XVIIIe siècle, et devenant un élément d’inspiration catholique.

Tel on peut imaginer à peu près ce personnage inconnu, et assez peu sympathique en résumé, d’Elis Wyn : un ministre anglican du parti de la haute église, à inclinations jacobites, sectaire accompli, d’humeur cassante et rogue, d’opinions intolérantes, intraitable à l’endroit des privilèges de son ordre. Il n’a aucune grandeur d’esprit,