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aux musulmans : ils travaillent sans relâche à amoindrir les horreurs de l’esclavage parmi les croyans, et tiennent en général pour infâme un musulman qui garde un coreligionnaire dans les fers. Quand je lis les horreurs de vos états du sud, je ne puis m’empêcher de me demander : Y a-t-il dans cette province un ministre de la Bible, ou les pasteurs de l’église réformée sont-ils propriétaires d’esclaves ?… » Certes ces dernières paroles sont injustes, l’église protestante a largement payé sa dette dans les luttes de la liberté, l’Amérique retentit encore de ses clameurs et de ses anathèmes ; mais Sismondi écrivait ces lignes en 1833, et qui sait si ces réflexions amères communiquées à Channing n’ont pas suscité des auxiliaires à ce vaillant homme ? Qui sait si cette voix sortie de la vieille Europe n’a pas éveillé dans le nouveau monde un Théodore Parker ?

La correspondance de Sismondi avec Channing embrasse une douzaine d’années, comme celle qu’il a entretenue avec Mme Mojon et Mlle de Sainte-Aulaire. La dernière lettre qu’il adresse au pasteur américain est du 19 décembre 1841. Sismondi avait soixante-huit ans, et il ne lui restait plus que quelques mois à vivre. Une grande douleur attrista pour lui cette suprême année, un grand coup le frappa comme un message de mort : la libérale constitution de Genève fut. renversée le 22 novembre 1841 par une révolution servile ; c’est Sismondi lui-même qui la caractérise ainsi. Il faut l’entendre quand il épanche son cœur avec Channing, et qu’il pleure sur la liberté de sa patrie. « C’est un bien petit état que le nôtre, ce n’est presque qu’un point dans l’espace ; cependant notre révolution est un grand événement dans l’histoire de la liberté : c’est un triomphe pour les idées serviles, un démenti pour toutes les espérances des gens de bien… Je pense que vous avez à peine une idée de cet événement. » Il lui explique alors ce qu’était Genève depuis 1815, et ce qu’a détruit la révolution du 22 novembre 1841 : une constitution démocratique dans le meilleur sens du mot, aucune distinction de naissance, aucune autorité se perpétuant elle-même, tout pouvoir venant du peuple et retournant au peuple, une législature de deux cent cinquante membres, comprenant à peu près tous les hommes capables de motiver leurs opinions, un corps électoral composé de tous ceux qui prenaient un intérêt quelconque à la patrie, puisqu’il suffisait d’une contribution volontaire de 3 francs 25 centimes pour jouir des droits de citoyen ; avec cela, un gouvernement juste, probe, vigilant, économe. Un jour, après six mois de sourdes attaques et de calomnies ténébreuses, les démagogues ameutent la populace, séduisent-la milice, assiègent le conseil représentatif, et menacent de livrer la ville au pillage, si, avant deux heures, on ne décrète pas l’appel d’une convention. « Cette convention, ajoute Sismondi,