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ces cas n’est précisément à la gloire de l’esprit humain. C’est une de ses faiblesses que de ne pouvoir toujours être mis en contact avec la vérité même. Et ce dont l’emploi atteste les lacunes et les infirmités de notre esprit ne peut être sans danger pour la sûreté et la certitude de nos conceptions et de nos connaissances.

Le sens d’une expression figurée est d’une élasticité telle que les plus habiles maîtres se sont permis les interprétations les plus hasardeuses. Quoi de plus clair que le verset proverbial de la Genèse sur la création de la lumière ? Si ce n’est qu’il doit être mis d’accord avec quelques explications scientifiques, le sens direct paraît évident, et il a toujours passé pour satisfaire pleinement l’esprit. Eh bien ! saint Augustin est d’avis que le fiat lux exprime la création des anges, parce qu’ils sont enfans de lumière, et il en donne plusieurs raisons ingénieuses en se félicitant de l’obscurité du langage divin, divini sermonis obscuritas. Il faut que la métaphore soit prodiguée avec bien de la hardiesse dans l’Écriture pour qu’un père de l’église du rang de saint Augustin l’ait retrouvée là.

Quant à l’hyperbole, on est dispensé de prouver qu’il y a en elle quelque mensonge, et que cette figure de rhétorique n’est pas destinée à donner l’exacte vérité, puisqu’elle l’exagère. Il est donc trop facile d’y être trompé et de ne savoir pas faire la part du vrai et du faux qu’elle contient en même temps. Il n’est peut-être pas de tour oratoire qui dénote davantage la faiblesse de notre esprit, car elle n’a pu être introduite et autorisée que par l’expérience de notre malheureux penchant à ne pas nous contenter de la vérité pure, et de cette mobilité passionnée qui exige de qui nous instruit qu’il nous trouble pour nous convaincre, et nous trompe pour nous éclairer. Or rien n’est plus commun que cet artifice du langage dans les livres saints. La comparaison de l’aiguille et du câble exprime évidemment l’impossibilité du salut des riches, et veut dire seulement que les riches, pour être sauvés, ont à surmonter plus de tentations dangereuses. Dans cette parole : « celui qui ne hait pas son père et sa mère, sa femme et ses enfans, ses frères et ses sœurs et même sa propre vie, ne peut être mon disciple ; » si l’on ne sait reconnaître une hyperbole, une expression forte calculée pour déterminer les fidèles à de grands sacrifices, à quelles conséquences n’entraînerait-elle pas un esprit faible ! Molière nous l’a dit, voici ce qu’Orgon en conclut :

Il m’enseigne à n’avoir d’affection pour rien,
De toutes amitiés il détache mon âme,
Et je verrais mourir frère, enfans, mère et femme,
Que je m’en soucierais autant que de cela.

Le récit, d’ailleurs très mystérieux, de la tentation du Christ