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une couverture soutenait sur ses genoux et entourait de ses deux bras une jeune fille au teint pâle. Celle-ci grelottait sous ses vêtemens tout imprégnés d’eau salée, et à ses petites mains blanches comme l’ivoire brillaient des bagues ornées de diamans.

— Monsieur James, dit le capitaine Robinson en s’adressant à son premier officier, faites préparer un fauteuil pour qu’on puisse hisser à bord ces naufragés, qui semblent à bout de forces.

L’officier se fit descendre au fond de la barque avec quelques hommes de l’équipage, au risque de sombrer avec elle. Secoué par les vagues frémissantes, le canot s’éloignait brusquement du gros navire pour s’en rapprocher de si près qu’on eût dit qu’il allait se briser contre les flancs de celui-ci. Il fallut toute la prudence et l’adresse du hardi baleinier et de ses matelots pour défendre la petite embarcation contre les flots qui menaçaient de la submerger. La négresse fit éclater sa joie quand elle vit le fauteuil s’abaisser du haut de la grand’vergue du Jonas, elle aida les marins à y attacher sa maîtresse ; ses bras tendus vers le ciel semblaient vouloir soutenir encore la jeune fille qui s’élevait insensiblement au-dessus de l’abîme.

— Hisse, hisse tout doucement, dit à demi-voix le capitaine Robinson.

La jeune femme, arrachée à une mort imminente, se balança pendant quelques secondes au milieu de l’espace, puis fut ramenée sur la dunette du Jonas, d’où on la descendit dans la chambre du capitaine. Deux minutes après, la négresse était auprès d’elle, lui prodiguant les soins les plus empressés et couvrant de larmes et de baisers les mains du marin qui venait de la sauver.

— Et l’homme qui est resté dans la chaloupe ? demanda le capitaine.

— Il est mort, répondit l’officier ; ses membres sont raides et glacés, son cœur a cessé de battre. Envoyez-nous, s’il vous plaît, un boulet de canon, pour que nous le fassions couler après l’avoir enveloppé dans la voile du canot.

— Avez-vous peur qu’il ne revienne nous hanter sous la forme d’un fantôme ? Le temps presse, monsieur !

— Je ne crains pas plus les morts que les vivans, répondit M. James ; mais je n’aime pas à priver le corps d’un marin de la sépulture à laquelle il a droit…

— Revenez à bord avec vos matelots, monsieur, répliqua sèchement le capitaine ; ne vous exposez pas plus longtemps pour un cadavre. Le temps presse, vous dis-je.

L’officier dut obéir ; il remonta, lui et ses hommes, sur le pont du Jonas, au moyen des cordages qui avaient servi à descendre le