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leurs visages, altérés par la frayeur ; leurs dents claquaient, et l’eau de la mer, lancée par la vague, se gelait sur leurs vêtemens et jusque sur leur barbe.

— Mes amis, dit le capitaine en paraissant au milieu d’eux, voilà qui va mal, n’est-ce pas ? Un mauvais sort nous poursuit ! qu’en dis-tu, toi, Patt l’Irlandais, qui as souvent peur de ton ombre ?

L’Irlandais releva la tête et regarda en face le capitaine Robinson.

— J’ai vu ce que j’ai vu, monsieur ; les morts se vengent comme les vivans des insultes qu’ils ont reçues.

— J’aurais bien envie de te briser la tête, à toi aussi, avec ma carabine, pour t’apprendre à me répondre insolemment, dit le capitaine Robinson ; mais je n’en ferais pas sortir les folles imaginations qui s’y sont logées. Voyons, qu’en pensez-vous, vous autres ? Croyez-vous aussi que les morts reviennent ?

Personne ne répondit ; les voix tumultueuses et sinistres des flots déchaînés semblaient parler du fond des abîmes pour ceux qui restaient muets.

— Monsieur James, dit le capitaine à son premier officier, descendez dans la cabine pour rassurer par votre présence la jeune fille que vous avez sauvée…

Puis, s’adressant de nouveau à ses matelots : — On dirait que vous n’avez jamais vu de tempêtes !

— Jamais de pareille à celle-ci, répliqua à voix basse un vieux harponneur !

— Toi aussi, Dick, tu perds la tête ! s’écria le capitaine ; le vertige s’est emparé de vous, mes amis. Eh bien ! qui de vous oserait me jeter à la mer ? C’est pourtant le moyen de tout sauver ; vous l’avez pensé, vous l’avez même dit plus d’une fois ! Croyez-vous que je n’aie pas eu connaissance de vos plaintes, de vos murmures ? Il y a assez longtemps que je navigue pour être au fait de vos rêves superstitieux… J’ai fait une promesse que je ne puis plus tenir ; j’ai manqué la pêche ; le destin m’est contraire, pourquoi ? Je ne sais ; mais je me sens vaincu par une puissance supérieure ; à vos yeux, je suis un être maudit, n’est-ce pas ? C’est moi qui suis le coupable et moi qui dois être la victime !

Les baleiniers baissèrent la tête ; il était vrai que de sinistres paroles avaient été prononcées par eux dans le paroxysme de la terreur.

— Tenez, reprit le capitaine Robinson, vous me faites pitié. Vous n’osez regarder la mort en face, et pourtant elle est toujours là qui rôde autour de nous. N’est-ce donc pas votre métier, à vous, de la braver à travers les mers, d’un pôle à l’autre ? Ah ! j’ai compassion de la pauvre jeune fille enfermée là, dans cette cabine, et qui tremble