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prix beaucoup plus élevés que de nos jours, les négocians de Calcutta expédiaient en Angleterre une grande quantité de cotons provenant de la fertile région du Doab, entre le Gange et la Djumna. La baisse rapide des prix les ruina, et maintenant ils craignent le retour d’une aventure semblable. Quelle serait leur position si, à l’issue de la guerre civile d’Amérique, la production du coton reprenait dans ce pays sa marche ascensionnelle et faisait de nouveau délaisser leurs produits ? Leurs achats de terrains, de semences, de machines, le prix de la main-d’œuvre et du transport n’étant plus remboursés par la vente d’une denrée avilie, ils seraient ruinés après leur seconde tentative comme ils l’ont été après la première.

Aujourd’hui pareil malheur ne peut plus être que temporaire, grâce à la tournure qu’a prise la question de l’esclavage en Amérique. Les filateurs de Manchester, poussés par l’aiguillon de la nécessité, acceptent avec joie les produits qu’ils refusaient autrefois, et, par l’entremise d’associations d’encouragement, font tous leurs efforts pour améliorer la qualité des fibres recueillies dans l’Inde. Le mal est grand, mais ils le connaissent et sont décidés à le combattre. Il s’agit d’abord de réformer l’agriculture elle-même, qui dans certains districts est probablement moins avancée qu’à l’époque du roi Porus. Tandis qu’on peut compter en Amérique sur trois balles de coton nettoyé par hectare, c’est à peine si dans l’Hindoustan on obtient une balle entière sur le même espace de terrain. Les canaux d’irrigation manquent sur presque tous les plateaux de l’intérieur, et ce ne sont pas toujours les meilleures variétés de cotonnier que les paysans cultivent de préférence. Cependant les efforts des associations et du gouvernement indien ont déjà produit des résultats importans pour le choix des semences. Dans certains districts, la plante indigène se développe mieux que les variétés importées d’Amérique. On la conserve alors avec soin ; mais en d’autres régions, où la variété new orleans réussit à merveille, on la sème à l’exclusion de toutes les autres, et l’on obtient ainsi une excellente soie absolument semblable au coton américain. Déjà le district de Coïmbatour, dans les montagnes des Neilgherries, offre plusieurs centaines de mille hectares où croît cette variété du cotonnier, et dans l’espace d’une seule année le port de Bombay en a expédié à Liverpool 60,000 balles provenant des champs du Dharwar. On s’occupe également d’améliorer la qualité du coton en employant des machines perfectionnées qui ne brisent pas la soie et n’y laissent pas de débris de capsules. On a calculé qu’en se servant du churkah indien, un homme ne peut nettoyer un kilogramme de coton en moins de quatre heures, tandis qu’avec les instrumens expédiés de Manchester, il fait dans le même espace de temps sept fois plus