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dans les transports. Par eau, la distance est plus longue, mais les frais sont moins élevés[1].

Ce n’est pas tout que de changer la semence du cotonnier, de creuser des canaux d’irrigation, d’améliorer le cours des rivières, de construire des chemins de fer dans tous les districts de la péninsule : il faut aussi changer le sort du paysan, le racheter de l’usure, et ne pas le laisser croupir dans un état voisin de l’esclavage. La misère profonde et l’avilissement des cultivateurs sont le plus grand obstacle à la prospérité de l’Hindoustan, et, quoi qu’en disent les optimistes, il est probable que l’Angleterre aura plus d’une fois à gémir sur les résultats de la longue oppression à laquelle a été soumis le peuple hindou. Quelques mesures récentes ont été prises pour la protection des ryots contre les usuriers et les zemindars, des lois sévères ont été promulguées pour garantir l’exécution des contrats, les droits de la petite propriété ont été plus rigoureusement définis ; mais le système des avances n’a pu être modifié, et c’est là ce qui consacre l’asservissement ou tout au moins la gêne de la plupart des paysans. Il n’est pas jusqu’aux mesures les plus justes qui ne puissent avoir des conséquences fâcheuses pour le sort de la masse du peuple. Ainsi les plus grandes facilités que le gouvernement indien a procurées pendant les dernières années pour la vente libre des propriétés ont servi à dépouiller les classes agricoles au profit des commerçans musulmans, des banquiers et des usuriers brahmines, des gozaïns, des byragies et autres gens des castes supérieures. Les résolutions que lord Canning a prises récemment au sujet de la vente des terres incultes, et qui ont été accueillies avec tant de satisfaction par l’Angleterre commerciale, peuvent aboutir au même résultat et contribuer singulièrement à fortifier l’aristocratie féodale aux dépens des petits propriétaires.

Certes on doit louer lord Canning d’avoir abandonné les traditions mesquines de l’ancienne compagnie des Indes et d’avoir ouvert toutes grandes les portes de la colonie pour y convier l’agriculture, l’industrie, le capital. L’ancienne compagnie eût considéré comme une hérésie l’idée de mettre en vente les terres incultes qui forment, selon les diverses évaluations, le tiers ou même la moitié de la superficie de l’Hindoustan ; elle gardait ses déserts et ses jungles avec un soin jaloux et ne permettait à personne, surtout à un Européen, de défricher un champ dans ces solitudes. Lord Canning a osé rompre avec les préjugés traditionnels. Désormais ces terres

  1. La compagnie du chemin de fer de Bombay a fixé le taux du transport des cotons à 1 penny 3/4 par tonne et par mille ; sur le Godavery, le prix du transport d’une tonne à la même distance serait d’un tiers de penny seulement.