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la marche des affaires générales de l’Europe et les convulsions qui déchirent toute l’Allemagne ont naturellement contribué à grever davantage le budget militaire de la Prusse. Et cependant, malgré les sacrifices énormes qu’elle s’est imposés sous ce rapport depuis cinquante ans, les cinq cent mille hommes que la Prusse pourrait appeler sous les drapeaux ne sont pas également propres au service : un tiers seulement en appartient à l’armée régulière, le reste forme la landwehr, troupe qui, après avoir appris le maniement des armes, retourne en temps de paix dans ses foyers. Au moindre signal, les hommes de la landwehr sont tenus de quitter leurs femmes, leurs enfans, leurs métiers ou leurs champs, pour venir s’incorporer aux régimens de ligne : organisation vraiment démocratique, reposant sur le principe de l’égalité abstraite, presque l’idéal d’une armée nationale, mais qui, après tout, est bien plus conforme aux mœurs de l’ancienne Sparte que compatible avec les besoins et le but de notre état moderne. La longue paix dont s’est réjouie la Prusse depuis 1815 jusqu’en 1848 avait pu faire illusion sur lies avantages d’un tel système militaire ; les vices éclatèrent aux yeux des hommes les plus compétens, lorsqu’en 1850, et surtout en 1859, la mobilisation de l’armée dut être ordonnée.

Dans le premier cas, la Prusse était sur le point de faire la guerre à l’Autriche. La landwehr accourut avec enthousiasme aux chefs-lieux de rassemblement ; mais la paix fut conclue à Olmütz sans qu’une amorce eût été brûlée. La landwehr se sépara en murmurant et communiqua son mécontentement au pays. La seconde fois, en 1859, le cabinet de Berlin semblait disposé à intervenir dans la question italienne au profit de l’Autriche. Cette fois le mécontentement des populations, et partant de la landwehr, se manifesta dès le lendemain de la promulgation de l’ordre de mobilisation. La paix de Villafranca ne permit point au gouvernement prussien de pousser plus loin l’expérience ; ce qu’il venait de voir avait suffi pour lui démontrer l’urgence d’une réforme. Avec l’ancienne organisation, la Prusse pouvait à peine repousser une invasion subite, encore moins pouvait-elle songer à imprimer à sa politique extérieure l’énergie nécessaire tant qu’elle se trouvait dans l’alternative, soit de reculer au moment décisif, soit d’ébranler, par l’appel de la landwehr, tout le système économique du pays. En effet, la mobilisation privant le pays de ses bras les plus vigoureux, la Prusse se voyait exposée, dès le début de la guerre, à la ruine financière qui, chez les autres nations, ne vient qu’à la suite de longs désastres. Le gouvernement résolut donc de saisir les chambres d’un vaste plan de réforme. Il proposa d’augmenter la ligne de 117 bataillons et de 72 escadrons, de porter la durée du service de la réserve de deux à cinq ans, et la durée du service dans la cavalerie