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Que pourrais-je ajouter à ce tribut de pieuse vénération, sinon un témoignage de plus, et j’ose dire aussi enthousiaste, de mon admiration pour celui que Géricault appelait le La Fontaine de la peinture ?

Il est une face nouvelle et des plus intéressantes, je ne dirai pas seulement de l’esprit, mais du talent de Charlet, qui nous est révélée dans la publication de M. de La Combe. Il nous le montre comme écrivain dans une suite nombreuse de lettres adressées à diverses personnes et à lui-même, et dans des notes sur son art et sur divers sujets. L’originalité, la variété des tours, la verve bouffonne unie au sens le plus exquis, en font un recueil unique et donnent le regret de tout ce qui s’est perdu de lui en ce genre. Sa nature plébéienne, dont il était fier, dont il exagérait avec complaisance les saillies, donne le ton à ces lettres incomparables. L’éducation de Charlet, il le dit lui-même, avait été fort négligée ; il enchérissait encore sur ce qu’elle lui avait laissé de rude et d’inculte en apparence, et se montrait plus que de raison ignorant ou dédaigneux des usages du monde. Il se sentait ainsi plus à l’aise pour exprimer ses idées comme elles lui venaient, et surtout pour ne pas écrire comme un écrivain. C’est un don ajouté à tous les autres, que la nature a rarement refusé à la plupart des hommes remarquables. Il semble que cette faculté leur ait été donnée par-dessus le marché, pour la satisfaction des besoins de leur esprit et pour l’instruction des autres. On peut dire même qu’il n’est guère d’homme doué de quelque sentiment ou de quelque imagination qui ne trouve dans les occasions qui l’intéressent le mot propre, le tour convenable et même frappant pour exprimer sa passion ; mais c’est surtout quand ils parlent des objets qui font l’occupation et la gloire de leur vie que des hommes comme Charlet, comme Puget, inventent de ces images et de ces expressions qui semblent interdites aux écrivains vulgaires. « Jamais probablement, dit M. de La Combe, Charlet n’a relu une de ses lettres, et on l’eût bien étonné, si on lui eût dit qu’elles pouvaient être publiées. Mettez les points et les virgules, disait-il, je n’ai pas le temps. Non-seulement les points et les virgules manquent, mais souvent des mots entiers. Et cependant que d’esprit, de cet esprit gaulois, franc, original ! Quelle verve et quelle naïveté ! quel heureux mélange d’idées bouffonnes même, unies aux pensées morales les plus élevées ! Et tout cela sous une forme si colorée, si pittoresque, que sans aucun doute ces lettres auraient à perdre, si elles étaient châtiées. »

On remarquera que c’est surtout par un certain côté littéraire que Charlet a rencontré chez nous la popularité. Son talent de peintre n’était estimé que des connaisseurs, et on ne lui donnait guère que