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les écrits, avec cette différence qu’elles parlent aux yeux et à l’esprit en même temps.

Les types de Charlet sont de ceux qu’on n’oublie point, et la variété en est infinie. Il n’a jamais répété ni la même tête ni le même ajustement. Qui croirait qu’en ne représentant que des soldats, des ouvriers, des gamins de Paris, il ait pu trouver dans la tournure et dans le costume des différences aussi frappantes ? Dans ses dessins, le dragon ne ressemble ni au lancier ni au grenadier ; il semble qu’ils aient tous la physionomie de leur arme, comme ils en ont l’uniforme. Loin d’être des caricatures, ce sont de véritables portraits auxquels il ne manque qu’un nom : encore lui arrive-t-il quelquefois de leur en donner un de sa façon dans sa spirituelle légende, afin de les faire vivre tout à fait.

Son talent n’avait point eu d’aurore ; il est arrivé tout armé, pourvu de ce don d’imaginer et d’exécuter qui fait les grands artistes. Il a même cela de remarquable que la première période de son talent est celle où ce talent est le plus magistral. Dans des sujets aussi simples et, ce qu’il y a de plus difficile, dans la représentation de scènes vulgaires dont les modèles sont sous nos yeux, Charlet a le secret d’unir la grandeur au naturel. En parcourant cette suite de magnifiques dessins qui ont marqué surtout la première époque de son talent, on cherche involontairement ce qu’on peut lui préférer chez les plus grands maîtres sous le rapport de la simplicité de la conception et de l’ampleur du dessin. L’illustre Gros, pour qui il professait tant d’admiration, avait déjà donné l’exemple de cette grandeur et de cet idéal dans les figures militaires de ses vastes tableaux. Charlet retrouve ces mérites dans de simples dessins, mais avec infiniment plus de naturel et de vérité. Dans le temps où il produisit ces merveilles, il n’avait pas encore éprouvé le besoin d’enchérir sur l’effet de sa composition par des explications adressées à cette partie du public à laquelle l’art ne parlerait pas suffisamment ; il ne met qu’un titre : l’Aumône, le Menuet, le Soldat musicien, etc. ; encore se dispense-t-il le plus souvent de cette simple indication.

Ces réflexions s’appliquent surtout, comme nous l’avons dit, aux ouvrages de son plus beau temps. Il prit assez tôt l’habitude d’une exécution plus preste et plus habile : habile ne devrait pas être le mot, car le comble de l’habileté, n’est-ce pas d’arriver à l’effet par la simplicité des moyens ? Et c’est la qualité qui caractérise entre toutes les dessins de sa première manière, alors qu’il s’inquiétait peut-être moins de plaire que d’exprimer fortement ses idées. Un peu plus tard, l’adresse de la main, devenue plus remarquable, l’entraînait souvent dans une exécution dont la précision et la délicatesse ne sont pas exemptés d’une certaine coquetterie. Cette