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à tirer des anciennes insultes une vengeance suprême. Ceux qui parlent ainsi calomnient l’Angleterre dans le passé, et, nous en avons confiance, la calomnient dans le présent. Au temps où elle a réglé ses derniers litiges avec les États-Unis dans un esprit de modération qu’on a étourdiment taxé de faiblesse, les ministres de l’Angleterre étaient sir Robert Peel, lord Aberdeen. Ce fut sous le grand ministère de sir Robert Peel que furent terminées les questions de l’Oregon et des frontières du Maine. Sir Robert Peel avec ses grandes conceptions économiques, lord Aberdeen avec son esprit élevé de justice, de conciliation et de paix, étaient placés bien au-dessus des tentations de l’intérêt sordide et des conseils d’une lâche pusillanimité. Nous le demandons à l’Angleterre actuelle : quelle était à cette époque la conduite qui devait être la plus profitable à sa véritable grandeur ? N’est-ce pas celle que lord Aberdeen et sir Robert Peel ont suivie ? L’Angleterre serait-elle bien aise aujourd’hui d’avoir sacrifié à la satisfaction d’humilier la jactance américaine ces pacifiques réformes de 1842 et de 1846 auxquelles elle a dû sa paix intérieure et sa prospérité au milieu des agitations qui depuis ont bouleversé le reste de l’Europe ? En dépit de leurs émotions présentes, les Anglais feront bien de ne point oublier l’enseignement de ces beaux souvenirs. Ils feraient bien aussi, lorsqu’on les exhorte à profiter de la détresse des États-Unis pour les accabler au nom d’anciennes injures, de se reporter encore vers le passé.

Quels sont en Amérique les hommes qui se sont toujours montrés les ennemis arrogans de l’Angleterre ? Ce sont les hommes du sud, qui ont eu le monopole du pouvoir pendant près d’un demi-siècle. Ce sont les hommes du sud, qui ont préconisé cette politique d’annexion qui menaçait l’Angleterre, politique de flibustiers, comme les Anglais l’appelaient avec tant de raison. Ce sont les hommes du sud, du parti de l’esclavage, qui favorisaient la traite et cherchaient aux croiseurs anglais de si mauvaises et de si fréquentes querelles. Quels sont au contraire parmi les Américains ceux qui avaient le plus d’affinité avec les aspirations généreuses de l’Angleterre, ceux qui étaient ses alliés naturels ? Ce sont les hommes du nord, les républicains. Or, aujourd’hui que les hommes du sud, le parti de l’esclavage, le parti de la politique flibustière, le parti qui s’était fait un moyen de popularité de son insolence envers l’Angleterre a perdu le pouvoir et veut briser l’union uniquement parce qu’il a perdu le pouvoir, c’est au profit de ce parti et de ces hommes, qui étaient hier ses antagonistes acharnés, que l’Angleterre voudrait venger les injures qu’elle a reçues d’eux autrefois, en accablant de ses réclamations inexorables et de tout le poids de sa puissance maritime, qui ? le parti qui lui a toujours été le plus favorable, le parti qui se rapproche le plus de ses principes, le parti du travail libre, le parti républicain ! Parmi les contradictions dont nous a fatigués la politique contemporaine, il n’y en aurait pas de plus choquante et, nous le croyons aussi, de plus imprévoyante.