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LA RUSSIE
SOUS L'EMPEREUR ALEXANDRE II

La Russie a été longtemps un grand pays inconnu, à l’extérieur civilisé et européen à la vie intérieure close et pleine de mystères. On y pénétrait difficilement ; même en y pénétrant, on se trouvait en présence d’un mirage officiel ou d’une masse puissante et confuse qui se dérobait au regard dans son immensité, et de ce vaste empire si sévèrement gardé rien n’arrivait, rien ne transpirait, si ce n’est peut-être par intervalle quelque bruit lointain perdu ou dénaturé dans l’atmosphère occidentale. L’idée qu’on se faisait de l’empire russe était celle d’une puissance immobilisée par une autocratie sans limite, se mouvant dans sa sphère propre, portant dans son sein une énigme et menaçant de temps à autre l’Occident de son poids, — le poids de soixante-dix millions d’hommes pliés à tous les desseins d’une grande ambition ! Trente ans de règne de l’empereur Nicolas avaient singulièrement contribué à donner à la Russie cette attitude d’une nation pervertie de servilité, de silence et de fanatisme discipliné. Et cependant la Russie à son tour ne semble-t-elle pas gagnée aujourd’hui par cette fermentation universelle d’un esprit nouveau qui fait éclater partout les vieilles organisations, réduites à livrer leur dernier combat ? Ce qu’on ne sait pas généralement en effet, ou ce qu’on ne sait que d’une manière aussi vague qu’incomplète, ce qu’on n’a pu qu’entrevoir par instans à travers le décousu de la politique russe dans les affaires de la Pologne, c’est que l’empire des tsars lui-même touche, depuis quelques années, à un de ces momens qui ne sont pas sans doute les