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que ce n’était que la liquidation de la politique de l’empereur Nicolas.

C’était donc un règne nouveau qui s’ouvrait dans des circonstances difficiles sans doute, avec de grands devoirs à remplir et de grandes réparations à tenter, mais aussi avec la possibilité de trouver dans l’opinion attentive une incalculable force pour toute œuvre de rénovation intelligente. Le prince même appelé au trône semblait sous plus d’un rapport fait pour des conditions si nouvelles. Alexandre II était jeune encore, il avait à peine trente-sept ans. Le soin rigoureux et jaloux que l’empereur Nicolas avait mis à tenir le tsarévitch à l’écart des affaires de l’état, comme il faisait au reste de toute sa famille, semblait une garantie de plus, puisqu’ainsi nulle solidarité ne liait le nouvel empereur au passé. L’éducation d’Alexandre II avait été, il est vrai, confiée à un précepteur peu propre à développer en lui les hautes et sérieuses aptitudes de la politique. Ce précepteur était le général Nazimof, gouverneur actuel de la Lithuanie, celui-là même qui invoquait le souvenir des noces de Cana, il n’y a pas bien longtemps encore, pour dissoudre les sociétés de tempérance et permettre aux paysans de s’abrutir d’eau-de-vie ; mais à défaut de cette sérieuse éducation première, le nouvel empereur était né avec un caractère très différent de celui de son père : il était d’une nature plus douce, quoique plus nerveuse et plus impressionnable ; il passait pour avoir le cœur bon et les intentions droites. Dès les premiers temps de son règne, il montrait qu’il sentait derrière lui un peuple. Le jour de son couronnement, il fondait tout à coup en larmes, comme s’il eût senti l’effrayante responsabilité qui pesait sur lui. Peu porté peut-être aux initiatives hardies et décisives, il avait du moins un esprit touché de l’idée du bien. Alexandre II n’avait qu’à vouloir pour être populaire, et il le fut réellement pour tout ce qu’on attendait de lui. On lui montrait de toutes parts de la sympathie, de l’attachement, de la confiance. On s’efforçait par ces témoignages de l’attirer dans la voie des réformes et de lui persuader qu’il était libéral.

Un Russe spirituel faisait une remarque aussi piquante que juste. « Si l’empereur Nicolas, disait-il, avait défendu aux habitans de la capitale de sortir dans les : rués, et si Alexandre, à son avènement au trône, avait révoqué cette défense, on se serait écrié de toutes parts : Quel monarque libéral ! » En fait, le nouveau tsar fit plus que permettre aux habitans de la capitale de sortir dans les rues. L’empereur Nicolas avait limité le nombre des étudians de chaque université à trois cents ; Alexandre II fit disparaître cette limite. Le prix d’un passeport sous le dernier règne s’était élevé quelquefois jusqu’à 500 roubles ou 2,000 francs, ce qui équivalait presque à une interdiction