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contrôle du budget. M. Hertzen admet même une constitution, si l’on veut, comme forme passagère.

Tout ceci au surplus n’est pas le côté le plus original de la Cloche et ce qui constitue son rôle exceptionnel dans les circonstances présentes. M. Hertzen a fait de son journal le révélateur de tous les abus, de tous les scandales qui se commettent dans la haute et basse administration en Russie. Ce que les journaux de l’intérieur ne peuvent dire, il le dit. Aucun excès ne lui est inconnu ; il est informé de tout, et il fustige sans pitié les ministres, les gouverneurs, les généraux, livrant inexorablement à la publicité les actes les moins avouables des personnages qui composent le gouvernement. Comment la Cloche arrive-t-elle en Russie ? On ne sait ; mais elle y pénètre, et elle est partout. Les imprimeries secrètes qui se sont multipliées la reproduisent et la propagent dans les provinces. Tous les Russes, depuis le plus petit jusqu’au plus grand, lisent la Cloche. Pendant longtemps, l’empereur lui-même la lisait régulièrement ; il a cessé de la lire, dit-on, non par antipathie, mais parce qu’il n’aime pas beaucoup la lecture. On raconte une aventure qui ne laisse pas il d’être piquante. Un jour M. Hertzen avait publié un scandale assez compromettant pour deux des plus éminens dignitaires de la cour. Les deux personnages, sachant que l’empereur se faisait toujours apporter le dernier numéro de la Cloche, n’étaient point absolument sans inquiétude. Il s’agissait pour eux d’éviter que l’empereur apprit le fait qui leur était reproché, et qui n’était que trop vrai, à ce qu’il paraît. Ils eurent alors une idée merveilleuse ; ils firent réimprimer au plus vite le numéro en omettant ce qui les concernait. L’exemplaire ainsi modifié fut repris à l’empereur. Ce qu’il y a de plus piquant ; c’est que M. Hertzen le sut, à dater de ce jour il n’adressa plus que sous enveloppe son journal à l’empereur. La Cloche est la lecture de toute la cour, des frères de l’empereur et des autres membres de la famille impériale, qui s’amusent extrêmement de ces révélations. Les ministres, les dignitaires, les fonctionnaires, sont au contraire très sensibles au moindre mot qui les atteint ; ils redoutent cet étrange ministre de la police si bien informé, si bien servi, et il est arrivé plus d’une fois que la crainte de voir un acte divulgué les a contraints à se modérer. On va même jusqu’à dire que quelques-uns d’entre eux ont adressé leur justification à l’auteur du terrible Kolokol, et on nomme ceux qui l’ont fait. Il est certain que M. Hertzen est tout à la fois la terreur de ceux qui vivent d’abus et l’idole de toute une génération russe sans distinction de classe, d’état et de condition. Il a des partisans dans tous les rangs, dans toutes les sphères, et de cette littérature de l’exil, dont il est le représentant impérieux, il a fait un des plus efficaces