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Elle pleura longtemps avant de pouvoir me répondre, tenant ma main, la serrant convulsivement, et ne parvenant pas à se dominer. Elle eut un long accès de toux, et cracha le sang avec abondance.

— Mais vous êtes malade ? lui dis-je.

Elle haussa les épaules et hocha la tête, comme pour me dire : Qu’est-ce que cela me fait ? — Ah ! s’écria-t-elle dès que ses larmes lui permirent de parler, Dieu me punit. Maurice m’a quittée, et me voilà seule avec ce pauvre petit enfant, sans savoir ce que je vais devenir ! Je me suis fait illusion jusqu’à la dernière minute, car jamais je n’avais pu croire qu’il m’abandonnerait et qu’il abandonnerait son enfant. Depuis longtemps déjà, j’avais bien remarqué que ses visites étaient plus rares et plus courtes ; mais j’attribuais son absence à sa jeunesse, et toujours je me disais : « Il reviendra. » Son père le tourmentait, lui refusait de l’argent, et sans cesse, voyant qu’il ne faisait rien à Paris, le rappelait à Bordeaux. Moi qui savais que Maurice n’était pas méchant, mais seulement vaniteux comme le sont d’ordinaire les jeunes gens, je l’engageais à céder à son père et à retourner près de lui, promettant moi-même d’aller habiter Bordeaux et d’y mener une vie si secrète que personne ne m’eût soupçonnée d’être sa maîtresse ; mais il ne voulait entendre à rien, il me rudoyait et me disait que j’étais folle. Quand je lui parlais de régulariser la position de notre enfant, qu’il n’a pas même reconnu, il me répondait : « Cela se fera, mais pas maintenant ; je ne le puis, pour des raisons de famille que je te dirai plus tard. » Voyant que ce sujet lui déplaisait, je me gardais de lui en parler de nouveau, d’autant plus qu’après des conversations de ce genre il restait quelquefois cinq ou six jours sans venir me voir. Il y a deux mois à peu près, il me dit qu’il était obligé d’aller à Bordeaux pour affaires ; je le laissai partir, bien contente de penser que sans doute il se réconcilierait avec son père. Il n’y avait pas quatre jours qu’il était absent, lorsque je reçus de lui une très longue lettre qui me porta un coup terrible, et ne me laissait plus aucun espoir. Il me disait que son père le menaçait de le faire enfermer et de le déshériter, s’il ne rompait pas avec moi, qu’on voulait le marier, qu’il était forcé de me dire adieu pour toujours, mais qu’il n’oublierait jamais les années que nous avions passées ensemble. Il me conjurait de rester tranquille, de ne point chercher à le voir, de ne pas même lui écrire, parce qu’il était surveillé, de ne pas aller à Bordeaux surtout, parce que son père, qui avait dans la ville beaucoup de relations, ne manquerait pas de me faire arrêter par la police ; puis il m’envoyait quelque argent en m’assurant qu’il ne me laisserait manquer de rien. Je fus sotte, je fis l’orgueilleuse et lui renvoyai