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au milieu de ma famille et de mes amis ? Qu’ai-je donc fait après tout ? Ce que font tous les jeunes gens, ce qui se passe vingt fois par jour à Paris ; j’ai été le premier puni, et toute cette amourette m’a causé plus d’ennuis qu’elle ne valait. Est-ce moi qui ai forcé Geneviève à quitter M. Richard ? Je ne le voulais à aucun prix ; c’est elle qui l’a exigé, c’est elle qui m’a forcé de consentir à cette sottise, Moi, j’avais cru tout simplement à une agréable galanterie avec une jolie femme, voilà tout. Sans cela, me serais-je jamais embarqué dans cette galère ? Quand je l’ai eue chez moi, croyez-vous que ce fût pour mon plaisir ? C’était un enfer ! Plus de liberté, des pleurnicheries continuelles et toujours des reproches. J’en étais harassé, je ne comprends même pas la patience que j’ai eue. Quand cet enfant est venu au monde, il m’a rattaché à Geneviève, c’est vrai ; mais elle devint de plus en plus exigeante. Elle m’aimait, je le sais, mais elle m’aimait mal, En somme, nous étions libres tous deux. Si elle avait quitté M. Richard et tout abandonné pour me suivre, c’est qu’elle l’avait bien voulu. Et puis vous savez bien ce qu’elle a été autrefois ; je ne pouvais compromettre mon avenir, mécontenter mon père, renoncer à toutes mes relations, pour m’enterrer avec une femme que je n’aimais plus. J’ai rompu avec elle, j’y ai mis tous les procédés possibles ; mais j’ai rompu définitivement. À ma place, qui donc n’en eût fait autant, et quel est l’homme qui n’a pas sur la conscience de semblables peccadilles de jeunesse ? Je ne comprends rien à la colère de M. Richard. Il est venu ici me chercher une querelle d’Allemand. L’idée que ce duel fût possible, ne m’était jamais venue à l’esprit, et franchement ce n’est pas fort agréable de se battre pour une femme comme Geneviève ! Enfin je n’ai point cherché cette querelle, mais je la subirai comme un homme bien élevé doit subir ces sortes de choses.

Une heure après, les conditions du duel étaient fixées, et j’allais partir avec Richard pour le rendez-vous, lorsqu’on me remit une lettre de Maurice, qui m’annonçait que son père avait averti la police, que nous étions exposés à rencontrer des agens à l’endroit choisi, qu’il était désespéré de ce contre-temps, et qu’il nous priait, Richard et moi, de nous rendre à La Teste, où il saurait nous rejoindre le lendemain, de bonne heure, près de la chapelle d’Arcachon. Richard était furieux. — Quel contre-temps ! disait-il ; voilà un jour perdu, et cette pauvre Geneviève qui est là-bas sans sou ni maille !

Nous partîmes immédiatement pour La Teste-de-Buch. En nous promenant sous les pins, au bord de cette mer si fertile en naufrages que le costume ordinaire des femmes de pêcheurs est le grand deuil, en regardant les petits chalets bâtis sur le sable, Richard me dit avec mélancolie : — Ah ! qu’on pourrait être heureux