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Le rapport de la commission intermédiaire, probablement rédigé par Thouret, ne comprenait pas moins de cent pages in-quarto. Au milieu des questions ordinaires d’impôts et de travaux publics, il en soulevait une qui se trouve encore aujourd’hui de circonstance. Le traité de commerce de 1786 entre la France et l’Angleterre venait d’être mis à exécution. Là encore le gouvernement de Louis XVI s’était montré plus éclairé que la nation ; frappé de l’infériorité sensible des manufactures françaises, il avait voulu leur donner le stimulant de la concurrence étrangère et ouvrir en même temps à nos autres produits de nouveaux débouchés. L’occasion paraissait bonne pour tenter l’entreprise ; l’orgueil national, toujours si susceptible quand il s’agit de l’Angleterre, ne pouvait voir dans ce traité une marque de condescendance, puisque la France venait d’avoir dans la guerre d’Amérique les plus brillans succès. Les intérêts et les passions n’en tinrent nul compte, et ce traité de 1786, un des meilleurs actes de Louis XVI, a été un de ceux qui lui ont fait le plus de mal. Les Anglais contribuèrent à le rendre impopulaire par leurs vanteries ; en le présentant comme une revanche de la guerre d’Amérique, ils se trompaient eux-mêmes en trompant la France.

La Normandie, étant à la fois une des provinces les plus riches en manufactures et une des plus exposées à l’invasion des produits anglais, devait naturellement s’en préoccuper beaucoup. En lisant aujourd’hui le rapport de la commission intermédiaire, on le trouve plus raisonnable qu’on ne s’y serait attendu. Il commençait en ces termes : « Dans les premiers instans de l’importation des marchandises anglaises, l’opinion publique restait flottante entre deux assertions contraires. L’une prédisait la ruine inévitable de nos fabriques et du commerce qui. en dérive, l’autre n’annonçait qu’un désavantage passager, qui cesserait de lui-même aussitôt que l’empressement de la nation pour les nouveautés serait satisfait. Les effets parurent bientôt justifier la première assertion et la soutiennent encore. Les marchandises de fabrique anglaise sont importées et vendues avec la plus grande abondance, et l’Angleterre persiste à dédaigner les produits de notre industrie. Plusieurs de nos fabricans diminuent successivement le nombre de leurs ouvriers ; quelques-uns occupent leurs ateliers à donner la dernière main à des ouvrages qu’ils font venir d’Angleterre dans un état de fabrication imparfaite. Après les avoir achevés, ils les vendent sous leurs noms et sous leurs marques, comme des marchandises françaises. »

Ce préambule exagérait un peu le mal, comme il arrive toujours en pareil cas ; le traité n’était en vigueur que depuis un an, on ne pouvait pas encore en ressentir beaucoup les effets. Les documens de douane attestent que l’importation des produits manufacturés