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parfaitement légitime et logique de la part des États-Unis, mettant à ce prix leur acquiescement à la suppression définitive de la course.

Envisagés à un point de vue absolu, la doctrine de l’inviolabilité de la propriété privée sur les mers peut être contestée. Dans les guerres continentales, le progrès de la civilisation, l’adoucissement des mœurs, la multiplication des rapports habituels et la fusion croissante d’intérêts entre les peuples ont de plus en plus introduit, sinon dans le droit strict, du moins dans la pratique, le respect de la propriété privée. La destruction volontaire des propriétés particulières est donc généralement réprouvée, lorsqu’elle ne s’accomplit que dans la pensée de nuire à l’ennemi ; cette destruction ne réussit à se faire excuser que par une nécessité impérieuse, dans des circonstances exceptionnelles, et les bombardemens même, employés comme moyen de réduction de places qui peuvent être autrement attaquées, soulèvent une réprobation universelle. Cependant il n’est pas besoin d’insister beaucoup pour faire sentir que d’essentielles et nombreuses différences existent entre la propriété privée assise sur le sol et celle qui flotte sur l’Océan. L’homme qui livre sa fortune aux chances des expéditions maritimes ne peut prétendre à tous les privilèges, à tous les ménagemens qu’on accorde au citoyen dans son domicile, sur sa terre natale. L’attaque contre la propriété privée dans la guerre continentale expose les femmes et les enfans, détruit le toit qui couvre la famille, frappe le plus pauvre comme le plus riche. Autre chose est la saisie, sur des mers qui sont du domaine de tous, d’un navire, pur instrument du commerce de l’ennemi, destiné à l’échange lointain des produits de son sol ou de son industrie, et cependant ce navire n’est déclaré de bonne prise que quand un tribunal a prononcé sur la validité de la saisie, en sauvegardant, s’il y a lieu, les droits des neutres. Déclarer l’inviolabilité de la propriété privée sur les mers, ce serait certainement enlever aux luttes internationales une partie de leurs rigueurs. Vainement les défenseurs des droits des bélligérans allèguent que ce serait diminuer la crainte salutaire de la guerre, en rendre la pensée moins redoutable, la durée plus longue ; vainement ils nient que ce fût là un progrès véritable. Si le principe est encore difficile à faire reconnaître de tous, s’il n’est pas probable que ce principe soit prochainement admis dans le droit public des nations, tout ami de l’humanité fera des vœux pour qu’il finisse par triompher. Les États-Unis se plaçaient toutefois sur un terrain habilement choisi, lorsqu’ils faisaient dépendre leur renonciation à la course de cette inviolabilité de la propriété privée.

On a beaucoup écrit pour et contre la course. Les sentimens d’humanité