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la question. Ce traité est également silencieux sur les personnes, dont il est permis aux belligérans d’interdire le transport sous pavillon neutre. Rien, ni dans le droit naturel, ni dans le droit conventionnel, rien dans les auteurs qui ont traité ce sujet, n’autorise à étendre aux employés civils, encore moins aux agens accrédités près des gouvernemens neutres, une interdiction qui ne peut s’appliquer qu’aux gens de guerre. Ce serait là, de la part des belligérans, une atteinte des plus graves au droit des neutres. Toutes les raisons qui ont été alléguées, dans l’affaire du Trent, en faveur de cette doctrine excessive, ne valent pas même une réfutation. Les précédens invoqués sont inexacts ou abusifs, et c’est surtout en pareille matière qu’il ne peut y avoir de droit contre le droit. Wheaton a condamné le transport frauduleux des dépêches ; mais ce n’est pas un transport frauduleux (en supposant même qu’on élève la prétention d’assimiler des envoyés a des dépêches), ce n’est pas un transport frauduleux que celui qui s’opère de port neutre à port neutre, à bien plus forte raison lorsque ce transport a lieu sur un navire spécialement affecté à un service postal. Si le contraire était admis, les croiseurs du gouvernement fédéral pourraient arrêter chaque jour dans la Manche, hors de la limite assignée à la juridiction territoriale, tous les paquebots français ou anglais qui naviguent entre les deux pays, pour y saisir les dépêches ou les agens des états confédérés. Dans le cas où la guerre éclaterait entre les états du nord et l’Angleterre, la France violerait la neutralité en continuant, sur les paquebots de l’administration des postes dans la Méditerranée, le service de la malle de l’Inde. La neutralité interdit le transport des dépêches de port ennemi à port ennemi ; aller au-delà, ce serait, dans une infinité de cas dont il serait aisé de citer des exemples, porter aux relations des neutres avec les belligérans, et même aux relations des neutres entre eux, un préjudice que les droits de la guerre ne permettent pas de leur infliger. Quiconque se livrera à de tels actes doit savoir qu’il agit à ses risques et périls, au nom des seuls droits de la force, et devra être prêt à soutenir ces prétendus droits par les armes, — seule sanction des droits abusifs. Disons donc hautement que, dans l’état actuel de la jurisprudence des nations, la navigation de port neutre à port neutre est affranchie de toute entrave et jouit d’immunités absolues[1].

Les États-Unis ne peuvent pas plus prétendre à s’immiscer dans

  1. Ne pouvant entrer dans tous les détails, je crois à peine nécessaire de dire ici qu’il faut que la destination ne puisse être douteuse. Un navire neutre expédie pour un port neutre, mais rencontré hors de sa route a proximité des côtes de l’ennemi, s’il était porteur de contrebande de guerre et ne pouvait justifier de motifs suffisans pour se trouver dans ces parages, s’exposerait certainement à un soupçon légitime de fraude, à une saisie et à une condamnation.