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Le prince Napoléon, en fixant l’époque de sa tournée d’agrément et d’instruction, avait en lui-même la somme voulue des notions acquises, raisonnées et spécialement applicables à chaque point de son observation personnelle. Il lui suffisait donc de consacrer quelques jours, et parfois quelques heures, à l’examen des hommes et des choses qu’il savait d’avance, et à l’égard desquels son jugement avait pour se fixer des bases toutes préparées.

En outre, le désir exprimé par la princesse Clotilde de faire avec le prince la traversée tout entière dut modifier les projets. Comme, malgré la vaillance d’esprit et de cœur qui caractérise si vivement la fille de Victor-Emmanuel, il eût été imprudent de l’exposer à des fatigues au-dessus de son sexe, on dut, en la laissant à New-York, hâter la course à travers le Nouveau-Monde, afin d’abréger autant que possible les jours d’attente qu’elle avait bravement voulu supporter.

Cette précipitation amena aussi probablement l’imprévu de l’itinéraire, ou bien le prince ne voulut pas soumettre celui qu’il s’était tracé aux commentaires de tous ses compagnons de route : en quoi il fit bien dans l’intérêt de leurs plaisirs, car un itinéraire annoncé égare presque toujours l’imagination et l’expose à de nombreux désenchantemens. — Enfin, dans certaines positions, on ne veut pas rendre des amis dévoués responsables des fatigues ou des obstacles qui se peuvent rencontrer, et ces amis, délicatement délivrés de tout scrupule, font volontiers le sacrifice de leur initiative.

Nul plus que mon fils ne trouvait cela légitime. Laissé à lui-même autant que le permettait le risque de se voir séparé de ses compagnons par une pointe irréfléchie à travers les solitudes ou à travers les foules, n’ayant aucun caractère et aucun emploi officiels, jugeant et notant avec l’indépendance la plus absolue, il entendait toujours avec joie la formule : liberté de manœuvre, c’est-à-dire en style de marine : « que chacun aille où bon lui semble. » Il en profitait pour se lancer comme un oiseau dans l’espace, sans s’affliger du retour nécessaire et prévu de sa promenade, et tout entier à la jouissance romanesque d’être ainsi emporté dans l’ivresse du présent avec l’inconnu du lendemain.

Il y a donc eu pour lui, et il y aura peut-être pour le lecteur, un certain charme dans cette absence totale de préparation aux impressions reçues. On y sentira la spontanéité et la sincérité pour ainsi dire passives d’un esprit tout grand ouvert aux objets du dehors.

Consultée naturellement par mon cher voyageur, j’ai cru devoir l’engager à ne rien changer à sa manière de dire, pleine de jeunesse et d’abandon. Il m’a semblé que si à quelques égards il avait, pu se tromper, il n’en était pas rigoureusement responsable, n’ayant