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riable. L’installation est primitive : trois petites cabanes en terre et en branchages, dont une plus vaste sert de magasin, une aire où les pots sèchent au soleil, les ouvriers à demi nus attendant le moment d’enfourner ; un vieux Maure haut monté sur sa mule caparaçonnée de rouge, et marchandant une amphore ; tout cela bien éclairé, et ces hommes maigres toujours élégans de formes et d’attitude : il n’en faudrait pas davantage pour faire un tableau.

Au revers d’une roche, un nègre accroupi bat des mains pour épouvanter les moineaux qui viennent manger le blé, déjà mûr. Ses vivres pour la journée sont près de lui dans un trou du rocher. — Moineaux bien méchans, dit-il, mais moi bien plus méchant ; pas dormir ! Toi promener ? Faire beau temps, porte-toi bien.

Le sentier que nous suivions nous a trompés, il n’y a pas eu moyen de pénétrer dans la montagne. En revenant sur nos pas, nous entendions de très loin le formidable claquement de mains du vigilant nègre. — Ah ! dit-il quand nous fûmes près de lui, toi pas passer ! Si toi demander, moi avoir dit. — Le nègre d’ici est le type de la confiance et de la bonhomie. Il y en a de très beaux et de très élégans.

Blidah, 28 mai.

Départ à six heures du matin pour Blidah par L’Agha, Mustapha-Supérieur et Birkadem (le puits de la négresse). Ce nom vient des apparitions fréquentes d’une négresse fantôme qui sort d’un puits et rôde la nuit. Il n’est guère de musulmans qui n’aient eu maille à partir avec ce spectre noir. Sous les platanes, j’ai vu la fontaine, où puisait une forte négresse ; mais je ne doute pas que celle-ci ne fût très vivante.

Bouffarick ; la ville est petite, mais le cimetière est grand. La colonisation a laissé là ses victimes. Aujourd’hui c’est une oasis au milieu de la vaste Mitidja, dont les régions marécageuses encore incultes ne sont que trop nombreuses. Plus loin, elle est fraîche comme le printemps, couverte de moissons et de pâturages.

À mesure qu’on approche de Blidah, la végétation arborescente prend plus d’importance. Blidah, cette rose si vantée par les poètes arabes, est triste et trop rajeunie. On n’y rencontre que des soldats. La musique des turcos joue sur la place : trois pauvres colons, un Arabe galeux, une douzaine de zouaves forment l’auditoire. Une famille d’Arabes nomades campe en dehors du mur d’enceinte.

La situation, au pied du Petit-Atlas, sur un des premiers gradins de la montagne, est riante, les arbres magnifiques, les oranges excellentes. Nous prenons une carriole ; le jeune Salem, nègre de douze ans, intelligent et parlant à peu près français, est notre phaéton. Il