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touchent presque à celles d’en face et même parfois tout à fait, appuyant poitrine contre poitrine. Les parties inférieures en retrait forment des galeries ou des voûtes pleines d’ombre ; mais le reflet des murs est si blanc que cette ombre n’est pas de l’ombre pour les yeux : elle donne seulement un peu de fraîcheur. Ces rues de la ville haute sont toutes en pente rapide et en escaliers à marches profondes pavées à pointe de diamant. Je te parle des meilleurs endroits, qui sont encore très pénibles à gravir.

Le silence de ces rues ombreuses, que ne parcourent jamais ni les voitures ni les animaux, n’est interrompu que par le clapotement des sandales de quelques Juives et les chuchotemens mystérieux qui s’échappent de je ne sais quelles fissures de la muraille.

Je suis entré dans une mosquée, c’était l’heure de la prière ; Maures et Arabes étaient assis par terre, les jambes croisées, par rangées symétriques, le visage tourné vers l’orient. Ils psalmodiaient tous ensemble la même phrase plusieurs fois de suite, remuant la tête et balançant le corps d’arrière en avant ; puis tous se lèvent et s’inclinent en portant les deux mains à la poitrine d’abord, au front ensuite, après quoi ils se prosternent, et de leurs turbans balaient les nattes. Tout cela se fait avec un ensemble et une exactitude qu’envieraient des soldats prussiens.

Au sortir de la mosquée, un bel Arabe, qu’on eût cru passé au lait de chaux, tant son vêtement était net et blanc, voit venir à lui un vieux mendiant ordoux, la tête non rasée, le corps appuyé sur un long gourdin. Je crois que pour tout vêtement ce pauvre n’avait que sa besace. Il tend la main au riche chef, qui lui donne une pièce de monnaie, et qui, appuyant sa barbe propre et soyeuse sur cette barbe immonde, l’embrasse sur la bouche. Un autre Arabe, coiffé de la corde de poils de chameau, suit l’exemple du premier, et ainsi de plusieurs autres. Ce Diogène est réputé saint (marabout).

Le soir, musique arabe et kabyle chez M. Salvador Daniel. Omar, premier alto, tient son instrument comme un violoncelle et son archet comme un crayon. Deux joueurs de mandoline qui, pour faire vibrer les cordes, se servent d’une plume fendue et emmanchée à l’antique, m’ont rappelé ces figures d’Herculanum qui jouent de la cythare avec un objet semblable. Omar est un habile virtuose. La musique qu’il nous fait entendre est bizarre et ne satisfait guère aux exigences de nos règles musicales. Quand Salvador la traduit sur son violon, elle est intelligible et correcte ; mais les indigènes secouent la tête en disant : « C’est très joli, mais ce n’est pas ça ! » Moi, qui suis un peu sauvage en fait de musique, j’avoue que j’aime mieux la forêt vierge que le jardin cultivé.

5 juin. — Promenade en voiture à la Bouzarea par Douera. La