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sur un tabouret incrusté de nacre. Vis-à-vis de la porte, dans une niche revêtue de plaques de faïence, presque au niveau du sol, un divan, couvert de tapis et garni de coussins de toutes formes, sert aussi de lit, car l’usage n’est pas de se déshabiller pour dormir. Cependant il y avait un véritable lit au fond de l’appartement. Ce monument, en fer ouvragé, garni de rideaux d’étoffe rayée, est un produit de l’industrie locale. C’est un objet de luxe qui commence à s’introduire, mais qui ne sert encore que d’armoire, car en ouvrant les rideaux je vois, en guise de matelas, sur le fond de planches, des provisions de sucre, de café, de riz, des pots de confitures et des pots de graisse. En face du lit, un grand coffre noir, tout reluisant de clous et d’ornemens en cuivre, renferme les haïks, les corsages, vestes, foulards, pêle-mêle avec l’argent et les bijoux. Les murailles, blanchies à la chaux, sont toutes nues. La lucarne grillée qui sert de fenêtre est à deux mètres du plancher. Une grande glace dans un cadre de cuivre couvert d’arabesques est placé au-dessus du divan, sans préjudice de deux ou trois miroirs courant à travers la chambre. Cinq ou six paires de babouches errent dans tous les coins.

La mouima, c’est-à-dire la maman, suivie de la négresse, a servi le café, et l’on a bavardé arabico-franco-sabir. Je ne sais pas du tout comment nous faisions pour nous comprendre, mais le fait est que nous nous comprenions très bien. Scène de famille. Zohrah venait d’acheter un pantalon d’indienne bariolée, et Ayscha était jalouse. Je lui propose de lui en acheter un pareil. Un oui très curieux d’intonation change mon offre en promesse ; mais voilà que ce pantalon trotte dans la cervelle de la sœur aînée. Il sera peut-être plus beau que le sien. On boude, on pleure et on rit. On ne se réconcilie pas, on oublie. De vraies linottes !

Ayscha paraît avoir dix-huit ans, elle n’en a que treize. Elle est grande et forte, très brune, très belle, et d’une expression tantôt farouche, tantôt naïve. Zohrah m’a menacé de grand couteau dans ventre à moi, si je m’occupais de sa sœur. Comme mes éloges sur la beauté de l’enfant étaient très désintéressés, mes explications l’ont calmée. Elle m’a chanté une quantité d’airs arabes entrecoupés de cigarettes et de café ; puis, s’interrompant tout à coup, comme si elle eût oublié que j’étais là, elle a ouvert son coffre, déplié et replié ses haïks ; elle a contemplé ses corsages de brocart et de velours, ses bagues, ses bracelets de bras et de jambes. Enfin, reprenant le tout et l’empilant sens dessus dessous dans la caisse, elle est allée chercher dans une niche une petite boîte de carton, et, après s’être mise par terre à plat ventre, elle a répandu au hasard le contenu de l’écrin ; c’était une centaine de perles fines quelle s’est mise à enfiler tranquillement, avec l’aide d’Ayscha.