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mais du bien qu’on développerait dans son propre sein ; s’en rapporter à Dieu pour le moment de la justice définitive, et renoncer à tout travail de dissimulation et de conspiration, qui ne fait que ternir le caractère national et obscurcir la pureté de l’âme polonaise ; persévérer dans sa croyance malgré toutes les épreuves, défier le ciel par la foi qu’on a en lui, et dans les grandes occasions témoigner de sa vie en recevant la mort sans la donner, en allant au supplice comme les premiers chrétiens, la croix en main et la confession sur la lèvre, — c’est ainsi que le patriote inspiré comprenait ces devoirs de la servitude polonaise qu’il résumait par le mot de sacrifice. Autour de cette pensée rouleront désormais toutes les œuvres de l’auteur de l’Iridion ; elle les éclairera de ses rayons, elle en sera l’âme même. L’écrivain anonyme passa toute sa vie à développer cette doctrine sous les formes les plus variées, dans les créations les plus diverses ; on la retrouve dans la Tentation comme dans le Rêve de Cesara, dans la Nuit de Noël comme dans le Jour présent, dans le Dernier comme dans l’Aurore, les Psaumes de l’Avenir et le Resurrecturis.

Assurément, et abstraction faite du talent qui éclate dans ces diverses œuvres, il y a quelque chose d’imposant rien que dans cette persévérance à prêcher une idée aussi en dehors des procédés ordinaires du temps où nous vivons. Il fallait de plus un grand courage et une foi non moins grande pour tenter de convertir à une telle doctrine un des peuples les plus bouillans et les plus fougueux de l’univers. Aussi quel art, quelle passion n’employa-t-il pas pour persuader à la nation les vérités dont il se sentait pénétré ! Que la Pologne fût une fois affermie dans cette croyance au martyre pur et fécond, et le poète ne craignait plus pour elle ni les revers de la fortune ni les tentations du désespoir ; il acceptait même avec joie tout ce qui la séparait des vivans, tout ce qui la rendait étrangère aux heureux de ce monde. Qu’importe à la Pologne que d’autres la déclarent « aussi obstinée qu’impuissante, » qu’ils lui crient de s’arranger pour mourir au plus vite et ne plus les importuner par le râle de son agonie ? Les temps viendront où ces raffinés et ces endurcis la supplieront de se lever et de marcher ! En attendant, il faut subir avec calme jusqu’à ces outrages prodigués au malheur, regarder fièrement en haut « comme une orpheline seule à le droit de regarder, » et à l’orgueil insultant opposer une dignité silencieuse. « L’ange de l’orgueil avant sa chute, dit-il quelque part, avait une sœur dans le ciel, qui y est restée, — et elle se nomme la dignité ! »

Cette idée de sacrifice et de dévouement, le poète ne se bornait pas à la prêcher pour le présent et l’avenir : il voulut l’étendre jusqu’au