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brassa et m’abandonna sa petite main, qui n’était que légèrement blessée. Je le pansai, et avant la fin du pansement il s’agitait déjà sur mes genoux pour retourner à ses jeux.

Mme Martin nous retint au salon, Aubanel et moi, comme pour nous prouver que son système de claustration ne nous concernait pas. Cette femme si rigidement ensevelie avait une grande effusion de cœur quand elle se sentait avec de bonnes gens. Elle était même gaie, et le sourire était attendrissant sur cette physionomie mélancolique. Elle semblait faite pour la vie intime et les joies de la famille. D’où vient donc qu’elle était seule au monde avec son fils ?

Au bout d’un quart d’heure, Aubanel, qui était forcé de retourner à Toulon, me proposa de m’y conduire dans sa voiture. Je le remerciai ; je voulais descendre au rivage pour rendre visite au bon M. Pasquali. Je pris congé en même temps que lui de Mme Martin, sentant bien qu’il serait indiscret de rester davantage. Elle me retint. Aubanel se retira en me lançant un coup d’œil malin qui n’avait rien d’offensant pour elle ; mais elle ne le vit pas : toute légèreté était si loin de sa pensée !

— Docteur, me dit-elle quand nous fûmes seuls, pouvez-vous me trouver un professeur pour mon fils ? Aubanel et Pasquali n’en connaissent pas un dont ils puissent me répondre, car il me faut un être parfait, pas davantage ! Je sais que vous n’êtes pas du pays ; mais vous avez fait vos études à Paris, vous avez voyagé ensuite : peut-être connaissez-vous quelque part un honnête homme pauvre, instruit et bon, qui viendrait demeurer dans mon voisinage et qui tous les jours consacrerait deux ou trois heures à mon fils ? Puisque je demeure ici,… c’est l’histoire du grec et du latin, vous savez ; pour le reste, je m’en charge.

— J’espère trouver cela, et je vais m’en occuper tout de suite.

— Comme vous êtes bon !… Attendez ! je l’aimerais plutôt vieux que jeune.

— Vous avez raison.

— Pourtant, si c’était un homme sérieux !… Mais dans la jeunesse c’est bien rare, et puis ça ferait causer, et bien que je me soucie peu des propos, il est inutile de devenir un sujet d’attention ou de risée quand on peut se faire oublier dans son coin.

— Il me paraît difficile qu’on vous oublie, et je m’étonne de la tranquillité dont vous jouissez.

— On est toujours tranquille quand on veut l’être. Pourtant j’ai à me débattre un peu contre mon ancien monde !

— Votre ancien monde ?

— Oui, un monde avec lequel je n’ai pas de raisons pour rompre, mais dont j’aimerais à me délier tout doucement. Je ne suis pas Mme Martin, je suis la marquise d’Elmeval.