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chrétienne, et les analogies ne lui manquent point. Alors comme aujourd’hui, des guerres sociales avaient bouleversé le sol et ruiné les institutions antiques ; alors comme aujourd’hui, un césar apparut, un génie de guerre et de gouvernement, qui arrêta la société sur l’abîme, rétablit l’ordre matériel et inaugura une époque de grand épanouissement pour une civilisation matérialiste. Alors comme aujourd’hui, le malaise était général ; l’humanité souffrait dans son âme et pressentait un grand changement moral. Un homme vint enfin pour enseigner à ses semblables une loi inconnue d’amour, pour abolir l’esclavage, pour prêcher la fraternité entre les individus. Il fut crucifié, mais il ressuscita, et sa loi régna sur la terre. Cette loi règne encore aujourd’hui ; malheureusement, si la doctrine divine du Sauveur a changé et amélioré les relations entre les individus, elle n’a pas pénétré les rapports entre les nations : celles-ci se régissent toujours par le droit ancien, le droit païen, celui de la conquête et de l’oppression. Un seul peuple n’a pas suivi cet exemple ; son histoire est restée pure de toute injustice internationale ; il a toujours pratiqué la loi du Christ, dans les affaires de ce monde, il n’a jamais subjugué ni lésé aucun de ses voisins, il n’usa de sa puissance que pour protéger les faibles, pour se dévouer au salut des autres, et ce peuple a été crucifié comme le fut le Sauveur. Les dernières canzone célèbrent la résurrection de ce martyr, et avec elle un nouveau règne d’amour entre les nations, la fraternité des peuples couronnant et réalisant la fraternité des hommes enseignée par le Christ. Comme émotion profonde, comme richesse d’images, comme pureté de formes, l’auteur anonyme n’a rien écrit qui ait surpassé ce poème de l’Aurore, et il semblait y dire un éternel adieu à la poésie quand, enivré par cette vision d’un avenir magnifique et prochain, il s’écriait dans la strophe finale, que tant de cœurs répétèrent alors avec enthousiasme : « Toute notre âme, ô ma sœur, nous l’avons épanchée dans cet hymne ; trêve maintenant à la lyre, et trêve à la parole ! Que des enfans s’amusent encore à fredonner : d’autres voies sont ouvertes devant nous ; périssez, mes chants, et levez-vous, mes actions ! »

Illusion de poète que partageait de plus alors une grande partie de la nation, et qui ne tarda pas à être suivie d’une déception amère ! Le cri n’était pas moins l’expression d’un pressentiment vrai. Des voies nouvelles devaient en effet s’ouvrir bientôt devant l’auteur anonyme, et nous touchons ici à la dernière période de l’activité poétique de l’écrivain, la plus mêlée aux événemens du jour et la plus douloureuse de toutes, car elle fut liée à une catastrophe terrible, à un grand malheur national.

Émue et charmée par les, accens du poète anonyme, la Pologne