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charme : homme de guerre du premier ordre, le plus grand élève de Condé, ayant, comme Condé dans ses meilleurs jours, l’instinct des batailles, l’inspiration soudaine, le mépris du danger, l’entrain qui enlève le soldat ; « mais par malheur l’un des hommes les plus corrompus de son temps, sans mœurs, sans principes, sans vergogne ; non pas cruel, mais impitoyable ; prêt à tout pour satisfaire une ambition sans mesure ; portant plus haut que personne au monde l’orgueil de son rang et de sa naissance, et cependant s’abaissant, avec tous les gens en faveur, ministres, maîtresses, valets du roi, aux derniers excès de la familiarité, familiarité de grand seigneur à vrai dire, spirituelle, impertinente, pleine de dédain au fond, et dans l’occasion se relevant, par un vigoureux coup d’aile, aux derniers excès de l’emportement et de l’insolence. À tout prendre, le type du courtisan sans respect, sans scrupule et sans foi. »

La vertu et le bonheur du soldat ne devaient pas être le plus grand souci d’un tel général. Aussi voyait-on souvent renaître dans son armée les fraudes sur la solde, le gaspillage des vivres, la maraude, l’insubordination, la désertion, tous les méfaits et tous les crimes que Louvois prétendait réprimer. Le ministre se plaignait ; Luxembourg lui répondait qu’il avait bien raison de se plaindre, que la licence des troupes était à son comble, mais que cela venait ainsi par boutades, et que cela passait de même, la corde et le bâton n’y faisant rien. Louvois insistait. « Il faut, s’il vous plaît, trouver moyen d’empêcher que cela n’arrive plus à l’avenir… Sa majesté n’est pas accoutumée, après avoir répondu à une chose, d’en entendre parler davantage. » Le désordre disparaissait pour un temps, puis reparaissait de nouveau. Alors Louvois ne se contentait plus de menacer les coupables, il punissait les juges trop indulgens. Un conseil de guerre avait infligé une punition insignifiante à des cavaliers dignes de mort et au capitaine qui avait toléré leur indiscipline. Louvois écrivit à Luxembourg : « Sa majesté aurait pris le parti d’interdire tous ceux qui ont assisté à ce jugement, sans la considération de M. de La Cardonnière, aux anciens services duquel elle a eu la bonté d’épargner une pareille mortification ; mais pour apprendre à ceux qui ont rendu ce jugement la manière dont elle désire être servie une autre fois, elle veut que vous les envoyiez tous quérir et que vous leur témoigniez la mauvaise satisfaction qu’elle a de ce qu’ils ont fait en ce rencontre, et combien peu le jugement qu’ils ont rendu la persuade qu’ils aient l’application qu’ils doivent pour se bien acquitter de leurs charges. Sa majesté ordonne à M. Le Peletier de retenir deux mille livres sur les appointemens de ceux qui ont assisté au conseil de guerre. »