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allèrent bien plus loin encore, et il crut pouvoir annoncer le moment prochain où l’Occident, sapé dans ses bases et troublé dans sa foi à la Liberté, croirait, à la vérité « de celui qui est resté seul inébranlé sur le cocher de Pétersbourg, » Ce sera alors, affirmait le poète, la dernière et la plus cruelle épreuve pour la Pologne crucifiée, et il conjurait sa patrie de garder dans ce moment suprême sa religion intacte, de conserver dans toute sa pureté cette « âme polonaise, » qui sera tentée par les deux forces opposées et également brutales : le panslavisme des tsars et le radicalisme de l’Europe. Il y a quelque chose d’étrangement émouvant dans le début même du célèbre psaume de la bonne volonté, où le fils d’une nation saignante encore d’un massacre, comptée pour morte, dépouillée de tous les biens de la terre, où le fils d’une telle nation s’écrie : « Vous nous avez tout accordé, ô Seigneur, tout ce que vous pouviez nous donner du trésor éternel de la grâce !… Alors même que nous fûmes descendus dans la tombe, vous nous avez maintenus vivans dans les grandes luttes du monde ; nous n’étions plus, et nous fûmes pourtant présens à toute action glorieuse, sur tout champ de bataille, avec notre aigle d’argent et notre lame d’acier ; vous nous avez ôté la terre, vous nous avez abaissé le ciel, et votre cœur immense nous a couverts partout ; cadavres en apparence, nous fûmes des esprits en réalité. » Pour cette Pologne, à laquelle le Seigneur a tout accordé, le poète ne demande plus, qu’une dernière grâce : une volonté pure et sincère au milieu de l’ébranlement du monde » une volonté qui sache n’avoir recours qu’aux actions saintes aujourd’hui que viennent les tentations extrêmes… « Aujourd’hui que votre jugement a commencé dans les cieux suivies deux mille ans qu’a vécu la chrétienté, accordez-nous, ô Seigneur, dans ce moment suprême » de nous ressusciter nous-mêmes par des actions saintes ! » Cette prière revient à des intervalles divers dans le psaume majestueux, dont le rhythme coule lent et grave comme les accords de l’orgue ; elle revient au moment le moins attendu, et cependant toujours admirablement préparée, amenée par l’enchaînement musical de la pensée plutôt que par son développement logique, rappelant la contexture d’une fugue de Bach et en produisant l’effet magique. Un tableau merveilleux de sentiment catholique clôt cet hymne. On sait le culte qu’a toujours porté la Pologne à la mère du Christ. Le poète représente la reine céleste de Pologne plaidant, aujourd’hui devant son fils pour ses sujets fidèles, et tendant vers lui deux calices, dont l’un contient le sang du Sauveur, et l’autre le sang du peuple martyr.

« Regardez-la, ô Seigneur ! Entourée d’un cortège d’âmes, elle monte vers vous à travers les Immensités. Toutes les étoiles se sont penchées vers