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blanches passé-fleur, de ronces, de fougères, d’un pissenlit jaune en pleine floraison, d’un lin jaune aussi, fort délicat, et d’un lichen chevelu gris verdâtre qui tapisse la crête des volcans.

Mon âne est une bête enragée, et mon ânier un gamin insupportable. Il est fort laid et fort mal équipé : il a pour tout vêtement une longue chemise de toile blanche en guenilles et un morceau de chapeau de paille sur une tignasse ébouriffée. Une trique à la main, il ne cesse de frapper à tour de bras sur son pauvre baudet et de crier sans interruption : Tira capu ! lira caña ! Ses coups, ses cris, et son amour-propre d’arriver le premier nous ont bientôt fait dépasser tout le monde. Au bout d’une demi-heure, ennuyé d’être seul avec un guide qui parle je ne sais quel jargon, et fatigué de cette course insensée, je mets pied à terre et je fais un croquis du site, qui est admirable. J’aperçois enfin la caravane, qui, bien loin dans la montagne, tourne à gauche et disparaît dans un ravin profond. C’est à mon tour de crier : Tira capu ! et coups de bâton de pleuvoir sur l’âne, qui reprend son galop en biais. Je rattrape enfin notre petite troupe, que je trouve augmentée des autorités et notables du pays et d’une vingtaine de personnes toutes à âne. L’un est assis de côté ou à l’anglaise, l’autre juché comme sur un dromadaire ; en voici deux sur la même bête, celui-ci fait de la haute école, celui-là de la voltige ; trois furibonds simulent une attaque, et se précipitent à fond de train sur un voyageur paisible qui roule dans la poussière et s’empare d’une autre monture. Réclamations, rires, conversations engagées d’un bout à l’autre de la caravane. Nous sommes déjà liés avec les Açoriens comme avec des amis de dix ans.

Voici le lac de Las Furnas, eau limpide au fond d’un entonnoir de lave dont les pentes raides, verdoyantes et couvertes de bois de châtaigniers et de taillis de chênes en exploitation forment un vaste amphithéâtre aux gradins supérieurs couronnés de cèdres. Dans les roseaux du rivage, sur les plantations d’ignames, volent des agrions bleus et des papillons blancs semblables à ceux de nos jardins. Une perdrix rappelle ses petits.

Nous arrivons au village de Las Furnas. Petites maisons basses, sans caractère, quelques villas avec de beaux arbres ; mais ce qui frappe la vue, c’est la quantité d’hortensias bleus qui poussent partout, non pas de ces hortensias d’un bleu faux que nous obtenons dans nos jardins, mais d’un bleu d’outre-mer des plus riches.

C’est la saison des bains, et les eaux thermales de Las Furnas ont une telle réputation qu’on y vient du Portugal. Nous trouvons là tout le beau sexe açorien en toilette de campagne, aimable prétexte à la fantaisie. Deux jeunes filles m’ont frappé comme type : l’une