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le port de Louisbourg, et le Jérôme-Napoléon est peut-être le seul navire de guerre français qui soit venu ici depuis un siècle.

21 juillet. — On lève l’ancre, et nous passons dans le brouillard à travers les écueils. Nous roulons et tanguons toute la journée. Vers midi, nous laissons la brume derrière nous, comme un gros flocon de fumée grise. Le soleil nous éclaire sans nous réchauffer. Nous sommes à la latitude de Nohant. J’espère que tu t’y promènes avec une ombrelle et sans manteau. La pleine lune argenté ce soir la frange des grosses vagues. Nous dansons fort bien, mais tout le monde est aguerri, et le cap est mis sur Halifax. Quant à moi, tu vois, à la continuation de mon journal, que je n’ai pas encore fait connaissance avec le mal de mer.

Halifax, 22 juillet.

Nous voici chez les anglais ; arrivée vers onze heures du matin. Vingt degrés de chaleur, je me dégèle un peu. Encore une ville avec maisons et trottoirs en bois ; maisons plus luxueuses et plus grandes que celles de Saint-Pierre, mais pas beaucoup plus jolies de forme. La ville consiste en deux ou trois grandes rues. Beaucoup de magasins. Les mœurs anglo-américaines autorisent une grande liberté d’allures chez les jeunes filles. Elles errent à l’aventure, conduisant en casse-cou de légers chars, riant et causant à haute voix dans la rue. Beaucoup de ces jeunes personnes à l’air éventé sont très jolies. J’ai fait tout seul une bonne promenade. Les environs de la ville sont cultivés en prairies artificielles que l’on commence à faucher. Les routes sont propres, bordées de palissades tantôt à treillis croisés, mode américaine, tantôt à piquets verticaux, mode anglaise. La campagne ressemble à celle de Louisbourg ; mais elle est plus mouvementée, et aux bois d’aunes et de sapins il faut ajouter des bouleaux, quelques tilleuls, des érables rouges, des ormes d’Amérique, des frênes et quelques ifs. J’ai trouvé des insectes, des sylpha americana, à large corselet bordé de jaune, des s. marginalis et caudata, deux ou trois papillons (des argynnes) que je ne connais pas, plusieurs chenilles de Vanesse-Antiope ; je les mets dans une boîte, afin de voir si les papillons qu’elles me donneront différent de ceux d’Europe.

J’ai rencontré les voitures du prince. J’ai grimpé sur un siège, d’où j’ai pu voir à mon aise le paysage, très frais et vraiment très joli, des cottages propres, des prés verdoyans et des saules d’une beauté peu commune. On a mis pied à terre pour visiter une propriété dont le patron est collectionneur naturaliste et marchand. Son jardin renferme beaucoup d’arbres intéressans de tous les pays. Nous y sommes reçus par des singes, puis par des grues. Le savant