Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/694

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

offrent des exemples souvent cités. Il importe donc, pour avoir la mesure des progrès accomplis, de vérifier jusqu’à quel point l’accroissement du nombre coïncide avec l’augmentation des ressources publiques et particulières. La pullulation d’une foule misérable est, à vrai dire, un cas exceptionnel. La fécondité résultant de l’aisance au sein des familles, voilà le fait normal, et si le développement soudain d’une population n’est pas toujours la preuve d’un état économique excellent, c’est au moins une présomption favorable.

Jusqu’au commencement de notre siècle, c’est-à-dire tant que la Grande-Bretagne conserva un régime économique à peu près semblable à celui des pays continentaux, la supériorité relative du nombre fut du côté de la France, Il y a cent ans (1760) que le célèbre géographe Busching, à défaut de documens positifs, se livrait à des évaluations dont le résultat était d’attribuer aux trois royaumes britanniques une population totale de 8 millions d’âmes. Le premier dénombrement officiel, qui date de 1801 et qui concerne seulement l’Angleterre, le pays de Galles et l’Ecosse, constate l’existence de 10,951,000 habitans. La population de l’Irlande n’était alors connue qu’approximativement : on lui attribuait à peu près 5 millions d’âmes, de sorte qu’on pouvait se représenter par le chiffre de 16 millions les forces de l’empire britannique. Aux termes du dernier recensement exécuté dans la journée du 8 avril 1861, les trois royaumes comprenaient 29,334,788 habitans. Remarquons en outre que, de 1815 à 1859 inclusivement, les tableaux de l’émigration volontaire donnent un total de 4,917,598 individus : si tous ceux qui ont ainsi déserté leur pays y étaient restés en fondant des familles, la population britannique serait aujourd’hui égale en nombre à celle de la France[1].

Il ne faudrait pas se figurer que cette augmentation a pour cause la fécondité exceptionnelle de l’Irlande. Le gouvernement métropolitain y rencontre de telles résistances qu’il ne lui a pas encore été permis d’y constater le nombre des mariages. Les registres tenus par le clergé catholique ne lui sont pas communiqués. Il est même à croire que les déclarations de naissances et de décès sont assez irrégulières. Ce malheureux pays porte la peine de ses préjugés et de son imprévoyance. La misère y tient en balance la vie et la mort. Une pullulation calamiteuse avait porté jusqu’à 8 millions 1/2 le nombre de ses habitans : la famine meurtrière de 1847 et le grand exode qui en a été la suite, certaines modifications dans le régime

  1. L’émigration véritable, c’est-à-dire l’établissement perpétuel ou temporaire à l’extérieur, est presque nulle en France. Elle n’atteint que difficilement le chiffre de 12,000 par année, non compris l’Algérie ; mais l’Afrique française n’exerce encore sur les émigrans qu’une bien faible attraction.