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toutefois que notre rivale a su tirer un bien autre parti de ses acquisitions.


INDUSTRIE ET COMMERCE. — En matière de commerce extérieur, les rapprochemens comparatifs sont fort difficiles : ils manquent presque toujours de précision, parce que les élémens, les cadres, les règles d’évaluation sont rarement les mêmes de part et d’autre. Souvent aussi les indices sont trompeurs : par exemple, les gros chiffres qu’on prend pour symptômes du progrès peuvent être les résultats d’une calamité ; une disette, comme en 1847 ou en 1856, peut ajouter 200 millions au total des entrées par la nécessité ou on se trouve d’importer des grains ; une autre fois, une crise commerciale, mettant les industriels dans l’obligation de réaliser à tout prix, comme en 1848 et 1849, augmentera démesurément le mouvement des exportations. Pour éviter ces causes d’erreur, il faudrait multiplier les explications à l’infini. Toutefois, si le rapprochement que je vais établir n’est pas un bilan exact, il en sortira cette impression, que la supériorité commerciale de l’Angleterre est un phénomène tout nouveau, et qu’elle résulte seulement des évolutions, économiques opérées depuis le commencement du siècle.

Avant 1789, il n’y avait pas grande différence entre les deux pays pour l’activité du commerce extérieur : la balance penchait même souvent en faveur de la France. De 1785 à 1787 par exemple, les exportations françaises se sont élevées en moyenne à 543 millions de francs. L’Angleterre n’en était pas encore là. Le relevé de ses exportations de 1784 à 1792 donne pour chiffre moyen 465 millions en valeurs officielles, un peu inférieures, il est vrai, aux prix réels du moment. Quant aux importations, elfes restaient généralement au-dessous des envois à l’étranger, et on s’en félicitait, parce que les négocians et les administrateurs de cette époque, sous la fatale illusion de la balance du commerce, considéraient comme un bénéfice net pour le pays le solde qui était réalisé en argent[1]

Je surprendrai bien des gens peut-être en constatant que l’Angleterre nous était inférieure industriellement il y a trois quarts de siècle ; mais alors, remarquons-le bien, les grandes spécialités qui assurent aujourd’hui la prépondérance de nos voisins y étaient peut-être moins avancées que chez nous. La Grande-Bretagne, en 1788, ne possédait encore que quatre-vingt-huit hauts-fourneaux, produisant 68,300 tonnes de fer en masse, dont la cinquième partie à peine était obtenue au moyen de la houille. La France, suivant des états commerciaux de 1789, possédait déjà deux cent quarante-trois

  1. Voir, pour la France, Arnould, Balance du commerce, et pour l’Angleterre, les encyclopédies commerciales de Macpherson, d’Anderson et de Mac-Culloch.