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y réussissait. Le succès du Polexandre de Gomberville est encore mieux constaté que celui de Callitrope ou de Palombe. « Quand je veux, écrivait alors Balzac, le grand distributeur de renommée, quand je veux faire festin à mon esprit et le régaler magnifiquement je le mène à la cour du roi Polexandre. » Comme cette phrase est adressée à Gomberville lui-même, on pourrait en suspecter la sincérité ; mais voici une autre phrase que j’emprunte à une lettre écrite par Balzac à Conrart ou à Chapelain et qui confirme la première : « Il y a tel lieu en-deçà de la Loire où les Bergeries de Juliette et Jean de Paris ont des partisans contre l’Astrée et contre le Polexandre même, qui est à mon avis un ouvrage parfait en son espèce[1]. » Au témoignage de Balzac, on pourrait joindre celui de Chapelain, de Segrais et de bien d’autres ; mais pour mettre hors de doute, sinon le mérite, au moins le succès du Polexandre de Gomberville, il nous suffira de rappeler que ce roman en cinq gros volumes, publié pour la première fois en 1632, eut cinq éditions en peu de temps. Il servit de modèle aux romans pseudo-historiques de La Calprenède et de Mlle de Scudéri, qu’il précéda de plusieurs années, et, entre ces ouvrages qui le suivent et l’Astrée qui le précède, le roman de Polexandre garde encore, pour ceux qui de nos jours ont le courage de le lire, un caractère original qui lui appartient en propre. Avant d’expliquer en quoi consiste cette originalité, disons d’abord un mot de l’auteur.

Marin Leroy de Gomberville, qui fut un des quarante premiers membres de l’Académie française, naquit en 1600, à paris suivant les uns, à Étampes suivant les autres. Son père avait une charge à la chambre des comptes. La vocation littéraire se manifesta en lui de bonne heure ; il était encore un écolier lorsqu’à l’âge de quatorze ans il écrivit un volume de poésies, dédié a son père et publié par celui-ci. Ce volume se compose de cent dix quatrains fort médiocres, mais dont le sujet est assez singulièrement choisi par un enfant de quatorze ans, car il s’agit d’opposer aux agitations et aux inquiétudes de la jeunesse le calme et le bonheur des vieillards. Il composa ensuite quatre romans, dont le principal est Polexandre ; mais il ne s’occupait pas seulement de romans, il avait du goût pour les travaux historiques, philosophiques, et pour les récits de voyages. Il avait, dit-on, commencé une histoire des cinq derniers Valois, dont les fragmens n’ont pas été conservés ; il publia les Mémoires du duc de Nevers sur le XVIe siècle avec une introduction ; il publia également un volume de discours sur la philosophie stoïque, et enfin Il traduisit de l’espagnol la relation d’un voyage à la rivière des Amazones par le père Christophe d’Acugna, en y joignant

  1. Voyez la Correspondance générale de Balzac.