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« Mirzéma, indigne archichutli des sacrés tlamacazques et le moindre serviteur des dieux, à Montezuma, image de leur bénédiction.

« Après avoir sacrifié les cent esclaves que ta valeur souveraine destina pour les dieux au jour de ton triomphe, après avoir rougi leurs saintes images, baigné le pied de leurs autels et lavé les carreaux de leurs chapelles de tant de sang qui leur était consacré, après avoir rempli les encensoirs royaux de la gomme précieuse du copalli et parfumé les narines célestes d’une si douce odeur, j’ai versé mon propre sang de tous les endroits de mon corps, et par mes purifications j’ai mérité la vue du grand Tezcatlipuca, dont la providence veille sur l’empire du Mexique… »

Prophétisant ensuite l’avenir, ce grand-prêtre s’écrie :

« Je vois partir d’un autre monde des monstres qui volent sur la mer et jettent le feu de toutes parts ; ils vomiront sur tes rivages des hommes inconnus qui feront périr les peuples qui t’obéissent… Le temps est proche, tes calamités s’avancent, tes ennemis quittent leurs demeures, et quelques-uns des monstres qui les doivent produire ont déjà paru sur nos côtes… »


N’y a-t il pas là au moins autant de couleur locale que dans les Incas de Marmontel ? Quant aux noms, je crois devoir signaler Polexandre à M. Ampère, qui, dans son charmant et instructif voyage en Amérique, publié ici même, s’excuse, si j’ai bonne mémoire, de faire subir aux lecteurs français des noms mexicains dans toute la barbarie de leurs consonnes accumulées. Gomberville défigure encore un peu ces noms par respect pour l’euphonie ; il les défigure même tout à fait, quand il s’agit de noms qui reparaissent souvent, et que par conséquent les belles dames doivent prononcer souvent. Le vaillant Zelmatide et sa bien aimée Izatide sont dans ce cas ; mais pour les autres, il cherche autant que possible à se rapprocher du vrai, car, outre ceux que je viens de citer, il inflige encore intrépidement aux habitués de l’hôtel de Rambouillet une foule d’autres noms baroques, tels que Coathlicamac ou Tlamocalapan, qui n’avaient jusque-là figuré dans aucun roman. Gomberville est tellement préoccupé de couleur locale qu’il en abuse quelquefois. C’est ainsi que, dans l’histoire de Zelmatide, le confident du prince péruvien, parlant de son maître devant lui-même, répète à tout propos ces mots : « l’Inca mon seigneur. » Cette formule égayait à bon droit Tallemant des Réaux ; mais ce genre de défaut, devenu si banal depuis Polexandre était alors une nouveauté.

Parmi les personnages que Gomberville a le premier introduits dans le roman, celui de Bajazet, l’illustre chef des corsaires de l’Océan, n’est pas un des moins curieux. Cette physionomie offre plus, d’un rapport avec celle des poétiques flibustiers que Byron, Walter Scott ou Cooper ont mis à la mode. C’est un fils de roi qui ignore sa naissance, et que la vengeance et l’amour ont poussé à se