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fois sous les formes les plus violentes ou les plus bizarres. Ces malheureux états n’entendent pas seulement compromettre tous les intérêts ; ils veulent avoir la liberté de se jeter en toute occasion sur les intérêts étrangers, trop souvent condamnés à payer les frais de leurs guerres civiles, et ils prétendent de plus à l’inviolabilité, à l’irresponsabilité de leur anarchie. De là cette série de conflits qui depuis vingt ans remplissent nos relations avec l’Amérique du Sud, et qui se terminent périodiquement par l’apparition de quelque escadre venant imposer la paix ou une trêve pour un peu de temps.

On n’a point assurément oublié nos démêlés avec la république argentine à l’époque où elle était dominée par le général Rosas : ils ont duré dix ans et n’ont fini que par une révolution intérieure, qui a laissé dans ces contrées des difficultés d’organisation d’un ordre nouveau. Nous sommes aujourd’hui en paix avec l’Equateur ; mais une de ces dernières années on était obligé d’envoyer une escadre devant Guayaquil. Il y a longtemps déjà qu’on poursuit des réclamations dans la Nouvelle-Grenade, et une révolution nouvelle vient d’aggraver nos griefs. Dans le Venezuela, les gouvernemens qui se succèdent signent des engagemens qu’ils ne remplissent pas, et nous sommes à peine au lendemain de l’expulsion brutale de notre consul-général. Au Pérou, mille difficultés s’élèvent avec un de ces dictateurs américains qui rusent sans cesse et ont surtout la haine de l’Europe. À Montevideo, la France et l’Angleterre en sont, depuis plusieurs années, à poursuivre le règlement d’indemnités trop légitimes, et une rupture est peut-être imminente. Or, en présence de cette situation et de ces nécessités périodiques d’intervention provoquée par des gouvernemens sans scrupules, quand les faits deviennent trop crians, quelle est la seule politique possible, sensée, pour l’Europe, déjà absorbée par tant de problèmes d’où dépendent l’ordre, la sécurité et la liberté du vieux continent lui-même ? C’est là justement la question que soulève l’expédition engagée aujourd’hui contre le Mexique, cette expédition qui associe la France, l’Angleterre et l’Espagne dans une même action, qui a son programme dans le traité signé à Londres le 31 octobre dernier, et qui n’est plus un simple projet depuis que les Espagnols, un peu pressés de devancer leurs alliés, sont entrés à Saint-Jean-d’Ulloa et à la Vera-Cruz, qui semble même prendre des proportions nouvelles depuis que la France a pris la résolution d’augmenter les forces de son corps d’opérations. — A un point de vue supérieur et à ne considérer que la situation visible du continent, quelque justes que soient les réparations que nous allons chercher, ce n’est peut-être pas l’heure la plus favorable pour des expéditions lointaines. Tous les efforts qu’on peut tenter pour garantir la paix du monde ne peuvent faire que l’Occident tout entier ne soit engagé dans une crise décisive pour tous les principes de la société moderne, et qu’il n’y ait aujourd’hui en Europe assez de fermens redoutables, assez d’inconnu, pour qu’une puissance sérieuse soit peu portée à disséminer