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et d’empesé dans les propos que l’auteur prête à chaque personnage. Il me semble que de tous les arts, celui qui a fait le plus de progrès, c’est celui de la conversation. Je crois qu’on cause mieux aujourd’hui qu’on ne faisait au temps de Louis XIV… » Lorsque Sismondi, comparant ainsi les romans de Mmes de Souza, de Duras, de Staël, avec celui de Mme de La Fayette, tire de ce rapprochement la conclusion qu’on vient de lire, il commet sans doute une erreur de goût, mais que cette erreur est curieuse et instructive ! Non certes, on ne causait pas mieux sous Napoléon que sous Louis XIV ; on causait de choses plus graves et d’intérêts plus pressans. Il y avait moins d’élégance et plus de vie. La conversation n’était plus un délassement, c’était une affaire. L’art était moins habile, la passion plus ardente. Disons tout d’un seul mot : entre 1668 et 1813 il y a le XVIIIe siècle et la révolution. « La révolution ! n’y avons-nous rien gagné ? » s’écrie Chateaubriand à peu près vers ce temps-là, dans une page célèbre de ses Réflexions politiques, et il montre combien la nation est devenue plus sérieuse, combien les profondeurs de l’âme ont été remuées, et que de grands intérêts occupent aujourd’hui l’esprit des hommes, au lieu de ces frivolités qui remplissaient autrefois la causerie des salons. Sismondi sent bien tout cela ; même dans les hôtels aristocratiques, il sent passer le souffle vivifiant de la révolution, et à mesure que cette révolution est frappée, à chaque défaite de la France, à chaque victoire de l’Europe, on le voit devenir de plus en plus Français. Le 2 février 1814, à l’heure où l’invasion commence et où tant de peuples vont se trouver face à face, il écrit encore ces mots : « Quant aux nations, je n’estime hautement que l’anglaise… Après celle-là, qui me semble hors de pair, entre toutes les autres, c’est la française que je préfère ; je souffre pour elle lorsqu’elle souffre, et encore que je ne sois point Français, mon orgueil se révolte quand son honneur même est compromis. » Écoutez-le trois mois après, au lendemain de nos désastres : son cœur éclate de douleur et d’amour. Cette France que foule le pied de l’étranger, il la revendique comme sa patrie.


« Pescia, 1er mai 1814.

« J’évitais de toutes mes forces d’être confondu avec la nation dont je parle la langue pendant ses triomphes, mais je sens vivement dans ses revers combien je lui suis attaché, combien je souffre de sa souffrance, combien je suis humilié de son humiliation. L’indépendance du gouvernement et les droits politiques font les peuples ; la langue et l’origine commune font les nations. Je fais donc partie, que je le veuille ou non, du peuple genevois et de la nation française, comme un Toscan appartient à la nation italienne, comme un Prussien à la nation allemande, comme un Américain à la nation anglaise. Mille intérêts communs, mille souvenirs d’enfance, mille rapports