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— J’y ferai mon possible, répondis-je, afin qu’elle ne combattît pas ma résolution de fuir au plus tôt. Je ne me sentais plus assez de force pour recevoir des témoignages d’estime et de confiance qui me navraient. Dans huit jours, pensais-je, elle m’ouvrira peut-être son cœur, comme Nama lui a ouvert le sien, et au fond de ce cœur troublé ou souffrant je trouverai encore La Florade.

Je la quittai avec un peu de précipitation, prétextant un rendez-vous donné à Toulon, et je partis la mort dans l’âme. À mes yeux, la destinée suivait son implacable fantaisie de rapprocher ces deux êtres, si peu faits, selon moi, l’un pour l’autre. Ils s’étaient vus, ils se parleraient le lendemain, car dans certaines situations parler ensemble sur l’amour, c’est déjà se parler d’amour. Et moi j’étais là, condamné à opérer ce rapprochement !

Je sentis que je n’aurais pas la force de m’y prêter. J’attendis Pasquali sur le chemin de La Seyne. C’était l’heure où il y retournait. Il venait d’échanger quelques mots avec la marquise en traversant la colline. Il savait son projet, et n’y trouvait rien à reprendre. — Elle est bonne, dit-il, bien bonne femme, le diable m’emporte ! Il faudrait que le petit (il désignait encore ainsi quelquefois son filleul)fût trois fois effronté pour lui lâcher des douceurs en pareille circonstance. D’ailleurs nous serons là.

— Vous y serez, cher monsieur. Moi, j’ai oublié, en m’engageant à être de la partie, que cela m’était impossible ; mais vous n’avez pas besoin de moi, vous me raconterez l’affaire un autre jour. J’ai à acheter quelques meubles pour installer un mien ami au nom de qui je viens de louer la maison Caire ; il faut que je passe le contrat…

— Ah ! vous m’amenez un voisin ? Bon ! tant mieux !

Et, sans s’informer de son âge, de ses goûts et de son caractère, il m’offrit pour lui ses barques, ses engins, son vin d’Espagne et ses services personnels avec cette cordialité simple et brusque qui le caractérisait.

J’envoyai une lettre à La Florade pour lui dire que son parrain l’attendait encore le lendemain à sa bastide, puis je m’occupai activement de l’installation prochaine du baron. Je consacrai encore toute l’après-midi de ce lendemain à passer le contrat avec le propriétaire de sa nouvelle demeure, et je partis pour Hyères, où j’avais un ami. Je croyais devoir m’éloigner un peu du théâtre de mes agitations.

George Sand.

(La troisième partie au prochain n°.)