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jusqu’aux douleurs de l’inanition, jusqu’à l’épuisement. Deux fois par an, les douze grands-juges désignés par la couronne parcourent toute l’Angleterre et vont tenir les assises dans chaque comté, où ils sont reçus avec solennité par le shérif et les plus notables habitans, au son des cloches et des fanfares ; ils voyagent deux par deux et sont chargés, l’un des affaires civiles, l’autre des affairés criminelles.

Le mécanisme de cette organisation judiciaire est donc assez simple, et il semble que l’Angleterre ait résolu un bien grave problème, puisqu’elle a ainsi la justice et pas de tribunaux. Tout s’y accomplit de la façon la plus expéditive ; les grandes cours ne siègent pas d’une manière permanente à Westminster ; elles ont quatre sessions qui ne les occupent que du 2 au 25 novembre, du 11 au 31 janvier, du 15 avril au 8 mai, du 22 mai au 12 juin. En somme, la justice anglaise se résume dans le jury, et toute son organisation n’a eu qu’un but, la séparation du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif, l’indépendance absolue du juge. Cette indépendance, elle l’a incontestablement trouvée dans le jury. L’a-t-elle rencontrée dans les magistrats ? Les membres des grandes cours sont nommés sans doute par la couronne ; mais un traitement considérable leur est assuré, qui les place au-dessus de toute influence. Cela ne suffisait pas. Entre eux pouvait encore exister une certaine compétition pour les grandes charges et les présidences, que la couronne eût fait espérer peut-être aux magistrats les plus flexibles. Par un sentiment d’admirable loyauté, elle s’est imposé pour règle de conférer ces dignités à des hommes éminens choisis en dehors des grandes cours, dans le barreau ou dans les chambres, et par là elle a banni de l’esprit du juge l’anxieuse pensée de l’avancement. Après avoir tant fait pour l’indépendance de la justice, l’Angleterre serait bien malheureuse, si elle avait eu des magistrats faibles ou prévaricateurs. Il n’en est rien : la magistrature anglaise est austère et pure ; une même auréole de considération l’environne avec le jury, un même prestige s’attache à sa mission et l’a placée si haut dans l’opinion publique qu’aucun soupçon n’est encore parvenu à l’atteindre.

L’organisation judiciaire en France repose sur une autre combinaison, elle a d’autres élémens ; les juges sont sédentaires, l’œuvre de la justice permanente. Répond-elle moins pour cela aux besoins du pays ? C’est ce qu’il convient maintenant de rechercher.


III

Voulant donner une idée nette et saisissante de son système de gouvernement, Sieyès le présentait sous la forme d’une pyramide ayant sa ; large base dans les assemblées primaires, et arrivant par