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égyptien s’occupa vigoureusement de réprimer l’abus le plus pressant et le plus funeste au commerce, le vol sur les grands chemins, petite guerre qui n’avait rien d’infamant dans les idées des Kordofana. Il fit une si fréquente application du juge de paix du defterdar, le grand canon de la préfecture, qu’il finit par réussir. Il paraît que cette destruction en deux secondes d’un être vivant, ces gerbes d’entrailles et de membres broyés lancés sur la ville et retombant en pluie sanglante dans les cours et les rues, effrayait au dernier point des gens moins préoccupés de ne pas souffrir que de mourir décemment et d’avoir un tombeau. Aussi l’affreux supplice du kazoug, le pal, les laissait insensibles. Trois jeunes vauriens qui coupaient les routes furent amenés au bazar de Lobeid et empalés devant quelques milliers de curieux. Ils languirent tout un jour dans une agonie hideuse, sans une plainte, assistés de leur mère, qui ne cessait de leur crier : « Courage, mes fils ! Montrez à ces Turcs maudits que vous êtes des braves ! Et que les autres femmes du village ne puissent pas me dire que j’ai nourri des petites filles ! » Oublions un instant que ces trois malheureux étaient de vulgaires bandits, supposons-les des hommes de cœur combattant pour leur patrie : n’est-ce pas l’histoire des Macchabées ?

Les Kordofana se soumirent trop vite pour fournir au vainqueur le prétexte de les traquer comme esclaves : on se rabattit sur les montagnes, bien que quelques-unes fussent musulmanes de temps immémorial. Elles se défendirent avec une obstination et un désespoir auxquels les Égyptiens n’étaient pas accoutumés, et je crois que ceux-ci en furent fort aises. Une soumission trop prompte, comme au Sennaar, leur eût donné des contribuables ; la résistance leur offrait un gibier, et la chasse commença simultanément depuis l’ouest du Kordofan jusqu’aux bords du Fleuve-Bleu et au 10e degré de latitude. La religion importait assez peu du moment qu’on était en face de nègres, car dans l’arabe vulgaire les idées de nègre et d’esclave sont indivisibles et se rendent par un seul mot : abid. Tous les nègres sont abid, parce que, s’ils ne sont pas esclaves, ils sont destinés à l’être.

La résistance des montagnards du Nouba et du Tagali, ces deux massifs qui forment un arc de quatre-vingts lieues autour du Haut-Kordofan, fut admirable d’obstination. Des tribus de deux mille âmes battirent à coups de lance ou de pierres les régimens qui avaient renversé un empire. Surpris par des forces écrasantes, les nègres se laissaient hacher et fusiller, mais ne se rendaient pas. Un conte absurde, né je ne sais comment, les encourageait à une défense sans merci ; ils étaient persuadés que les blancs ne les prenaient que pour les engraisser et les manger, et cette idée règne encore au fond de la